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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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lundi matin, ils se séparèrent et les voitures se rangèrent devant le porche ; les hommes s’installèrent dans l’omnibus de la gare, aux relents de moisi, aux vitres brinquebalantes, et les femmes, dans les coupés caoutchoutés, où elles montraient dans l’encadrement des fenêtres leurs jolis visages voilés et leurs mains qui s’agitaient en signe d’adieu. Sébastien, suivi de ses deux épagneuls, s’avança pour les saluer, le sourire aux lèvres.
    « Enfin, les voilà partis », songea-t-il.
    Tous, sauf Léonard Anquetil, à qui on avait demandé de rester pour déjeuner. Sébastien tourna les talons et traversa, en sifflotant, la maison redevenue vide. Il fallait, maintenant, qu’il oubliât lady Roehampton. Ces sortes de réceptions plaisaient peut-être à sa mère, mais à lui, elles ne plaisaient pas. Il aimait une autre vie, la vie de Chevron. Si sa mère ne semblait pas goûter ce penchant, qu’y pouvait-il ?… Le domaine était à lui, et il l’aimait. Dans de tels instants, il oubliait que « rien n’arrive »… Il sentait, au contraire, que cette vie placide et stable était d’une qualité tout autre que l’excitation brillante du monde où se complaisaient ses pareils.
    Et, maintenant, cette vie montait jusqu’à lui comme un bourdonnement d’abeilles. Toute la communauté était au travail. Dans les écuries, les palefreniers pansaient les chevaux ; dans les ateliers, le rabot du menuisier faisait voler les copeaux de bois ; le diamant du vitrier crissait sur la vitre ; dans la forge, le marteau sonnait sur l’enclume et les soufflets gémissaient comme le vent ; sous un hangar, un vieillard fendait du bois. Sébastien, debout au milieu de la cour, voyait dans un rêve le pilon résonner dans la cuisine, le canard grésiller sur la broche, les blanchisseuses battre le linge dans les chaudières, Mme Wickenden compter les draps de l’armoire et déposer entre eux un sachet de lavande ; il voyait aussi le parc où s’ouvraient les fougères, et plus loin, le long des sentiers, « cette » ferme où il avait fait construire une nouvelle grange, « ce » cottage où on avait déjà enlevé la moitié des mauvaises tuiles. Sébastien était un bon propriétaire. Il irait en se promenant jusqu’au cottage de Bassett, cet après-midi, pour voir si le travail avançait. Il avait devant lui toute une semaine de tranquillité. Sa mère, même, partait pour Londres. Samedi prochain, la maison serait de nouveau pleine, pleine de gens si bien habillés, si sûrs d’eux-mêmes, si arrogants, qu’ils le révoltaient et le poussaient à dire des choses qui choquaient tant son entourage ; mais,jusque-là, il avait devant lui de douces heures d’abandon tendues de rêves et peuplées de bruits pareils à la musique… Tout était chaleur et sécurité, loisir et continuité. Sébastien se trouvait au milieu d’un ordre de choses qui, pour un esprit de 1905, était immuable. Pourquoi changeraient-elles, puisqu’elles n’avaient jamais changé ? Évidemment, il y avait bien quelques petites variantes ; l’armurier, par exemple, ne forgeait plus de jambières pour son jeune maître, mais, dans l’ensemble, le tableau était intact. C’étaient les mêmes personnages, dans le même décor : les murs gris, le drapeau de la tour, les arbres aux verts feuillages, les daims dans les clairières, la blanchisseuse qui étendait le linge… Sébastien regarda, sur le gazon, la réplique en bronze du gladiateur mourant, dont le bouclier était forgé aux armes de ses ancêtres…
    Quelle insolence ! pensa-t-il. Imposer ainsi le blason d’un milord à une statue antique !
    Il ne comprit point que sa propre vie de jeune propriétaire était une insolence pareille… Il rentra dans sa chambre, suivi de ses chiens.
    Beaucoup de travail attendait Sébastien, car, lorsqu’il était à Chevron, il tenait à diriger lui-même l’exploitation. C’était la seule chose qui le rendît réellement heureux. Sébastien ne connaissait que trois sortes de gens : ses amis d’Oxford, qui le jugeaient distant et peu agréable, les amis de sa mère, et ses subordonnés. Entre ces derniers et lui, il y avait de grandes affinités, dues en partie au fait que Sébastien avait vécu au milieu d’eux, en partie à leur sens inné de la tradition, et en partie aussi, nous devons le reconnaître, à l’attitude de Sébastien, qui était à la foissimple et charmante. Il pouvait passer pour

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