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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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précise à son sujet.
    Sur le trottoir, il y avait foule ; les couronnements étaient chose rare et on ne voyait pas tous les jours un carrosse dans Grosvenor Square. Sébastien, tenant sa couronne sous son bras, pour qu’elle ressemblât le plus possible à un parapluie, fut obligé de supporter les regards des curieux avant que les valets, luttant maladroitement avec un mécanisme dont ils avaient perdu l’usage, se pinçant les doigts dans les multiples charnières, fussent parvenus à abaisser le marchepied, et qu’il pût entrer dans le carrosse et s’enfermer dans l’intimité de cet étrange véhicule qui sentait le moisi. Il s’assit dans le fond avec un soupir de soulagement. Pendant une demi-heure au moins, il allait être seul, dans cette boîte obscure et cahotante, avant de reprendre son rôle dans la parade insensée.
    À peine le carrosse avait-il atteint Berkeley Square qu’il en examinait les accessoires, essayait de tirer les rideaux (mais la soie était pourrie, et ses doigts passèrent au travers), humait le camphre à pleines narines, tâtait les vieux sièges, levait les pattes des poches, allait d’une fenêtre à l’autre pour regarder les rues familières défiler lentement. Enfant, il avait souvent grimpé dans le vieux carrosse : attiré par l’âcre odeur qui s’en dégageait, il sautait de toutes ses forces pour qu’il se balançât sur ses ressorts gigantesques ; sa nurse le lui défendait :
    — Venez vite, Sébastien. Si vous ne venez pas immédiatement, je dirai à votre mère que vous avez traîné dans cette vieille voiture dégoûtante.
    Mais, à travers ces jeux interdits, il n’avait jamais songé qu’un jour il se promènerait dans le carrosse attelé de ses propres chevaux, le vieux cocher sur le siège et deux valets de pied accrochés malaisément à l’arrière. Pendant qu’il regardait, tirait les rideaux, explorait, reniflait, il se demandait ce que le cocher et les valets pensaient de tout cela. Il se dit, avec raison, qu’ils étaient heureux d’avoir un maître qui se rendait au couronnement dans son carrosse. Ils appréciaient certainement plus que lui ce privilège.
    Puis il se rassit, le dos contre les coussins, et s’abandonna au rythme de la marche. L’allure du carrosse lui semblait lente et majestueuse, lui, habitué à la vitesse de son automobile. Le rythme de la vie semblait tout à coup ralenti. Inutile de se hâter ; Sébastien savait que, quand il approcherait de Westminster Abbey, on lui ouvrirait un chemin. Il pensa à Phil. Avait-elle pris un tabouret et attendu des heures au milieu de la foule ? Les journaux annonçaient que les gens avaient attendu toute la nuit, bien qu’ils ne fussent pas aussi nombreux qu’on l’aurait cru, ce qui s’expliquait, d’après le Times , par la popularité des cinémas. Pourquoi les gens attendraient-ils dans les rues quand ils pouvaient voir le spectacle le soir même pour trois pence ? Non, Phil ne serait pas là : elle se moquait des rois, des carrosses, et des couronnements. Elle arpentait sans doute son studio, dans sa vieille robe de chambre chinoise toute déchirée, sans penser au couronnement ; peut-être faisait-elle cuire le bacon dupetit déjeuner pour le successeur de Sébastien, remplissant ainsi la chambre d’une odeur de lard brûlé. Peut-être jouait-elle quelques notes de guitare. Son invincible gaieté pouvait aussi bien éclater à sept heures du matin qu’à n’importe quel moment de la journée.
    Thérèse, au contraire, avait probablement donné tout au monde (sauf sa vertu) pour être bien placée. Il regretta ironiquement que Chevron ne fût pas situé dans Carlton House Terrace ; il aurait pu offrir un balcon à Thérèse. Sa petite âme médiocre n’aurait pas su s’élever à un geste de refus. Puis il en vint aux autres. Alice ? Alice irait à Westminster Abbey et porterait la traîne de la reine. Décidément il faudrait bientôt qu’il sût s’il voulait épouser Alice ou non. Sylvia… Il découvrit, à sa grande surprise, qu’il avait peur de revoir Sylvia. Depuis cinq ans, il n’avait rien su d’elle. Il venait seulement d’apprendre que lord Roehampton avait terminé son temps de service et qu’ils étaient rentrés ; il en conclut qu’il verrait Sylvia parmi les femmes des pairs.
    * * *
    Le carrosse de Sébastien s’arrêta avec une majesté digne d’éloges devant la porte ouest de Westminster Abbey. Il avait dépassé de nombreux

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