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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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répondrait ; il fut anéanti par sa passivité et l’accepta avec indifférence. Il ne s’était jamais senti si perdu, si abandonné et, en même temps, si résigné qu’en cet instant où il renonçait à sa liberté. Cette minute était pour lui une minute essentielle. Westminster et les lords temporels et spirituels l’avaient vaincu. Il épouserait Alice. Il la demanderait en mariage aux ballets russes, samedi ; Le Prince Igor serait la musique qu’il souhaitait.
    Ainsi, la prophétie d’Anquetil s’accomplirait, dans les plus petits détails. Il cesserait de lutter. Il contenterait la société, sa mère et les ombres de ses ancêtres, qui avaient autrefois occupé la place qu’il occupait aujourd’hui.
    La cérémonie se déroulait dans tous ses rites. Le roi incontesté de ce royaume fut présenté à son peuple à chaque point cardinal, et à chaque point cardinal son peuple le reconnut par des acclamations bruyantes et par la fanfare des trompettes dont les échos retentirent depuis les dalles jusqu’aux voûtes. Sur l’autel furent déposés la Bible, la patène et le calice. On invoqua Zadok, le prêtre ; et Natham, le prophète. Quatre chevaliers de la Jarretière portèrent un dais d’or au-dessus du roi. L’huile sainte coula sur sa tête, sur sa poitrine et sur ses mains. On les sécha ensuite avec du coton. Le costume d’apparat fut alors remplacé par la tunique blanche et le pallium d’or, laissantapparaître le hâle de son cou. On lui avait mis les éperons d’or et les armilles ; il ceignit l’épée que cent shillings, dans un sac de velours rouge, avaient rachetée. On lui offrit le globe, l’anneau et le sceptre ; le lord du manoir de Worksop lui offrit un gant. On plaça la couronne sur sa tête et, au bruit des trompettes et des tambours, le peuple cria :
    — Dieu garde notre roi !
    Quand on couronna la reine, les pairesses posèrent en même temps leurs couronnes sur leurs têtes avec une grâce exquise, leurs bras blancs s’élevant avec un bruissement d’ailes, comme l’arc orgueilleux d’un cou de cygne. Puis elles sortirent leurs petits miroirs et d’un regard furtif ajustèrent leurs coiffures. Les douairières qui les regardaient du haut des galeries se mirent à chuchoter. De leur temps, disaient-elles, les ladies n’avaient pas l’habitude de sortir leurs miroirs en public. On voyait bien qu’avec le règne d’Édouard VII les bonnes manières avaient pris fin !
    * * *
    Les assistants sortirent en foule de l’église, profondément soulagés. Chacun était las ; mais quelle imposante cérémonie !… Et, Dieu soit loué, il n’y avait pas eu de bombes !… Des groupes de messieurs et de dames bavardaient, çà et là, en attendant leur équipage. Les tableaux les plus ridicules s’offraient aux regards : un pair de la campagne avait mis son chapeau de paille, insouciant de ses vêtements de cérémonie ; un autre avait enveloppé sa couronne dans unjournal. Quelqu’un était en train de chuchoter que le vieux lord avait mis ses sandwiches dans sa couronne et qu’au moment de la poser sur sa tête, tout s’était renversé.
    Un à un, les carrosses, les voitures, les automobiles s’avançaient et disparaissaient. Sébastien se retrouva bientôt seul, dans sa boîte moisie. Il était épuisé, non par les longues heures d’attente, mais par la catastrophe morale qui s’était abattue sur lui et de laquelle, il le sentait, il ne se remettrait jamais. En vain se disait-il qu’il avait été vaincu par un symbole : c’était une vérité, cachée sous ce symbole, qui l’avait vaincu.
    Il porta la main à sa tête, là où la couronne avait pesé de tout son poids.
    À ce moment, un embouteillage arrêta son carrosse et, regardant distraitement les gens qui bordaient la rue, Sébastien aperçut Léonard Anquetil. Il le reconnut sur-le-champ, malgré six années d’absence. Impossible de se tromper sur ce singulier visage, marqué par la poudre et l’épée, blême et sarcastique entre deux touffes de cheveux noirs. Anquetil était sans chapeau, habillé comme un ouvrier, les mains dans les poches. Il ressemblait à un gamin des rues qui s’était frayé un chemin jusqu’au premier rang pour regarder le spectacle. Il n’avait pas d’âge ; il avait l’air fort et bien portant ; la bouche avait perdu son pli amer ; il semblait extraordinairement heureux.
    Sébastien chercha fiévreusement la poignée de la porte avant de se

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