Azincourt
suffirait pour se frayer un chemin parmi les
archers. S’ils y parvenaient, d’autres se joindraient à eux.
— Ces maudits archers ne sont
point entraînés au combat, dit-il à ses hommes. Ce sont des artisans ! Des
tailleurs et des vanniers qui savent à peine se servir d’une hache !
Aussi, ne les attaquez point. Laissez-les s’épuiser, puis esquivez et tuez.
Est-ce entendu ?
Les hommes acquiescèrent. Ils
comprenaient, mais la terre était empuantie de sang, l’oriflamme avait disparu
et une douzaine de grands seigneurs de France étaient morts ou perdus.
Lanferelle savait que cette victoire ne viendrait que lorsque ses hommes commenceraient
à y croire. Il allait donc leur donner cette foi en franchissant la ligne
anglaise, et il apporterait un triomphe à la France.
Voyant approcher l’assaut, les
Anglais se redressèrent et reprirent leurs armes. Le deuxième bataillon
français avait rejoint le premier et poussait son cri de guerre :
— Saint Denis !
Montjoie ! Montjoie !
— Saint George !
répondirent les Anglais.
Et les rugissements reprirent,
ponctués de défis et de railleries.
Mais le deuxième bataillon ne put
atteindre les Anglais, car les rescapés du premier leur bloquaient le chemin.
Ils ne purent que repousser et entraîner dans la boue ces hommes épuisés pour
franchir les monceaux de cadavres et arriver sur les lames anglaises. La
clameur enfla, ce fut à nouveau un fracas d’acier, de cris d’agonie et de
sonneries de trompettes, tandis que huit mille soldats français allaient
au-devant de la mort.
Pendant que Lanferelle fondait sur
les archers.
Femmes et serviteurs fuyaient le
convoi de l’intendance pour rejoindre le champ de bataille, tandis que serfs et
paysans se précipitaient sur les chariots en quête d’un butin facile.
Mélisande était plongée dans la
rivière glaciale, boueuse et gonflée par les pluies. Elle pataugea sous les
branches et aperçut le surcot pris dans un saule. Elle s’en empara, puis se
fraya un chemin entre les ronces et les orties de la berge, avant de l’enfiler.
L’étoffe trempée lui collait à la peau, mais elle la couvrait et elle put
remonter lentement vers le nord à travers les buissons. C’est alors qu’elle
aperçut les cavaliers.
Ils étaient une cinquantaine à
l’ouest du village et observaient le camp anglais. Ils n’avaient point de
bannière. Quand bien même, Mélisande n’aurait pu la reconnaître, mais elle
était certaine que la petite armée anglaise n’aurait jamais laissé sans réagir
autant de cavaliers derrière ses lignes. C’étaient donc des Français et
Mélisande, bien que française aussi, les considéra comme des ennemis et se
tapit derrière les buissons.
L’angoisse la rongea : le
surcot la couvrait, certes, mais elle était gagnée par le remords.
— Pardonnez-moi de porter le
surcot, pria-t-elle la Vierge. Laissez à Nick la vie sauve.
Elle ne sentit nulle réponse. Elle
avait juré de ne pas porter le surcot, convaincue que revêtir les armes de son
père vouerait Nick à la mort sur le champ de bataille ; mais à présent
elle portait le soleil et le faucon, et la Vierge n’avait pas répondu. Elle
savait qu’elle avait rompu son pacte avec le Ciel. Elle frissonna, glacée et
trempée. Nick allait mourir, elle en était certaine. Elle ôta alors le
vêtement, afin qu’il ait la vie sauve. Et elle s’accroupit. Elle pria, nue,
transie et terrifiée. Et au nord, derrière les cavaliers et le village, à
l’horizon, la clameur de la bataille s’éleva de nouveau.
— Nous les avons déjà massacrés,
cria Evelgold. Nous le referons ! Tuez pour l’Angleterre !
— Et les Galles ! cria un
homme.
— Et saint George !
— Et saint David !
répondit le Gallois.
Et à ce cri, tous les archers se
précipitèrent sur ce nouvel ennemi.
Ils s’élancèrent ; désormais,
ils savaient comment s’y prendre pour abattre les hommes d’armes empêtrés dans
l’épaisse boue. Ils s’abattirent sur le flanc français et le martelèrent. Un
nouveau monceau de corps commença à s’élever, la plupart terrassés d’un coup de
masse et achevés d’un coup de dague dans l’œil. Les cris étaient incessants. Le
plateau bouillonnait d’une masse de fervêtus crottés de boue qui s’avançaient
lourdement vers les archers, poussés par les rangs denses qui les suivaient, et
ils trébuchaient sur les corps, se faisaient fracasser et déchiqueter, mais
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