Azincourt
choix de Dieu pour le trône de France. Ses hommes d’armes
marchaient avec lui et taillaient leur chemin à coups de haches, masses et
épées dans les rangs d’un ennemi épuisé et découragé. Et leurs pas se
jonchaient de nouveaux cadavres et de cris auxquels nul ne répondait. Henry
était en tête malgré ceux qui l’exhortaient à se protéger. Son casque était
entaillé et cabossé, une fleur de sa couronne étincelante avait été arrachée,
mais le roi d’Angleterre était empli d’une joie sainte et vertueuse en voyant
que l’ennemi souffrait selon la volonté divine. Les hommes pataugeaient dans un
bourbier couleur de sang et l’âme d’Henry s’élevait. Dieu était avec lui et
cette certitude lui donnait des forces nouvelles.
Lanferelle frappa brutalement à
l’instant où la lame d’une vouge accrocha sa spallière et le tira en arrière.
Il manqua sir John mais, ayant miraculeusement gardé son équilibre, il se
retourna et s’immobilisa en voyant son nouvel adversaire.
La vouge qui l’avait privé de sa
victoire sur sir John et dont la pointe était appuyée sur ses lèvres était
celle de Hook.
— Quand vous avez combattu
naguère, dit celui-ci, il vous a laissé vous relever. N’en feriez-vous point
autant ?
— Nous sommes dans une
bataille, répondit péniblement Lanferelle. Naguère, c’était un tournoi.
— Puisque c’est une bataille,
rétorqua Hook, pourquoi ne devrais-je pas vous tuer ?
Sir John se releva mais se contenta
de les observer.
— Parce que Mélisande ne te le
pardonnerait jamais. Lanferelle vit l’hésitation sur le visage de Hook et se
tendit, prêt à brandir son arme, mais la pointe appuya de plus belle sur ses
gencives.
— Allons, essayez, dit Hook. Le
voulez-vous, sir John ?
— Il est tien, Hook.
— Tu es mien, dit Hook à
Lanferelle.
— Je me rends* , dit
Lanferelle en laissant tomber son arme.
— Ôte ton casque, ordonna Hook
en baissant la sienne.
Lanferelle enleva son casque, son
ventail et le capuchon de cuir, libérant ses longs cheveux noirs. Il tendit à
Hook son gantelet de main droite. Hook, triomphant, ramena son prisonnier avec
les autres captifs français. Le sire de Lanferelle parut soudain gagné par la
lassitude et le désarroi.
— Ne me lie point les mains, le
supplia-t-il.
— Pourquoi ?
— Parce que j’ai de l’honneur,
Nicholas Hook. Je me suis rendu et j’ai donné ma parole de ne plus me battre,
ni de tenter de m’enfuir.
— Alors attends ici.
— J’attendrai.
Hook cria à un page d’apporter de
l’eau au Français et retourna à la bataille qui se terminait à son tour. Le
deuxième bataillon français n’avait pas fait mieux que le premier. De nouveaux
cadavres avaient rejoint les précédents, et les survivants battaient en
retraite en pataugeant dans la boue, abandonnant morts, blessés et prisonniers.
Des captifs par centaines. Ducs, comtes, seigneurs et hommes d’armes, tous
revêtus de surcots crottés et détrempés de sang, retenus derrière les lignes
anglaises, regardaient avec incrédulité les restes des deux bataillons français
reculer en clopinant.
Il restait le troisième bataillon.
Ses bannières flottaient tandis que ses hommes montaient en selle en réclamant
leurs lances à leurs écuyers.
« Des flèches, souffla saint
Crépinien à Hook. Il te faut des flèches. »
Car la journée n’était pas terminée.
Mélisande était aux aguets. Le convoi
d’intendance anglais était dans le village de Maisoncelles et les pâturages
alentour, et une autre partie remontait sous la conduite de pages et serviteurs
vers la protection de l’armée anglaise, si toutefois il en restait une.
Mélisande n’en savait rien.
Elle avait vu des hommes à l’horizon
descendre dans la vallée de Maisoncelles, mais ils étaient peu nombreux et,
d’après leur allure, semblaient blessés. Peu après, d’autres hommes étaient
arrivés, lentement : ce n’étaient donc pas des fuyards paniqués mais elle
n’avait pas vu qu’il s’agissait de prisonniers qu’on amenait au village. Cette
absence de panique laissait entendre que l’armée anglaise tenait toujours sa
position sur le plateau, mais elle redoutait de la voir soudain apparaître,
poursuivie par des Français vengeurs.
Au lieu de cela elle avait vu des
cavaliers français arriver de l’ouest et piquer vers le village, où ils
abattaient les pages et sautaient de selle pour commencer à
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