Azincourt
à
mi-voix.
— L’oriflamme ?
— La bannière de guerre
française, expliqua Dancy en se signant de nouveau. Cela veut dire qu’il n’y
aura nulle merci. Et qu’ils veulent tous nous tuer.
C’est alors qu’il tomba à la
renverse. L’espace d’un instant, Hook resta interdit, puis il crut que Dancy
avait trébuché et tendit instinctivement la main pour le relever. Il vit alors
le carreau empenné fiché dans le front de son compagnon. Il y avait très peu de
sang. Quelques gouttes seulement avaient giclé sur son visage qui semblait
autrement paisible, et Hook s’agenouilla pour regarder le carreau. Il ne
saillait que de cinq doigts ; le reste était enfoncé dans la cervelle de Dancy,
qui était mort sans un mot.
— Jack ? demanda Hook.
— Pas la peine de lui parler,
Nick, dit un autre archer. Il bavarde avec le diable, à présent.
Hook se releva et se retourna. Plus
tard, il ne devait qu’à peine se rappeler ce qui était arrivé ni même pourquoi.
Jack Dancy n’était pas un ami proche, car Hook n’en avait aucun à Soissons
hormis, peut-être, John Wilkinson. Pourtant, il fut pris d’une colère soudaine.
Dancy était un Anglais, et à Soissons les Anglais se sentaient autant assiégés
par leurs alliés que par l’ennemi. Et comme Dancy était mort, Hook tira une
flèche vernie de son carquois de toile blanche.
Il baissa son arc horizontalement
devant lui, posa la flèche sur le bois, la coinça du pouce et glissa la corde
dans l’encoche. Puis il releva l’arc tout en le bandant.
— Nous ne devons pas tirer, dit
un archer.
— Ne gâche point de
flèche ! ajouta un autre.
La corde avait atteint son oreille.
Du regard, il scruta les alentours nimbés de fumée et vit un arbalétrier surgir
de derrière un pavois décoré de haches croisées.
— Tu ne peux pas tirer aussi
loin qu’eux, l’avertit le premier archer.
Mais Hook savait manier l’arc depuis
l’enfance. Il s’était exercé jusqu’à pouvoir tendre la corde des plus grands
arcs de guerre et avait appris de lui-même que l’on ne vise point avec l’œil,
mais avec l’esprit. On voyait, puis on pensait à sa flèche, et les mains
bougeaient à peine pour viser. L’arbalétrier relevait son arme quand deux
carreaux sifflèrent aux oreilles de Hook dans l’air du soir.
Il n’y prêta aucune attention. Ce
fut comme lorsque le cerf apparaissait brièvement entre des feuilles et que la
flèche s’envolait sans que l’archer ait eu conscience de lâcher la corde.
— Toute l’habileté est entre
les oreilles, mon petit, lui avait dit autrefois un villageois. On ne vise
point. On pense à la cible et la flèche y vole.
Hook lâcha.
— Fichu sot, dit un archer.
Hook regarda les plumes blanches
trembler dans l’air et la flèche retomber, plus vive qu’un faucon sur sa proie.
Armée d’une pointe d’acier, nouée de soie et taillée dans le frêne, la mort
filait dans le silence du soir.
— Bon Dieu, murmura le premier
archer.
L’arbalétrier ne mourut pas aussi
facilement que Dancy. La flèche de Hook lui transperça la gorge, l’homme tourna
sur lui-même en lâchant son arme, qui libéra son carreau au hasard du ciel.
L’homme tomba à la renverse en se tortillant et se débattit sur le sol, portant
les mains à sa gorge. Au-dessus, le ciel était rougissant de la lueur des feux
et des derniers rayons de la mort quotidienne du soleil.
Voilà qui avait été bonne flèche, se
dit Hook. Droite et proprement empennée de plumes toutes prises sur la même
aile d’oie. Elle avait filé droit, là où il le désirait, et il avait tué un
homme au combat. Enfin, il pouvait se considérer comme un archer.
Le deuxième soir du siège, Hook crut
que c’était la fin du monde. La lumière était chaude et limpide, et la rivière
coulait lentement entre ses rives fleuries et bordées de saules. Les bannières
des Français pendaient inertes au-dessus des tentes. Des maisons incendiées la
veille, s’élevait encore un peu de fumée vers le ciel sans nuages, tandis que
les hirondelles virevoltaient et chassaient sous les murailles.
Adossé aux remparts, son arc détendu
posé à côté de lui, Hook pensait à l’Angleterre, au manoir et aux champs
derrière la grange où le foin serait bientôt prêt à faucher. Des lièvres
devaient courir dans les herbes hautes où voletaient les alouettes et des
truites folâtraient dans la rivière. Il songeait à l’étable en ruine au
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