Azteca
incompréhensibles à tout œil civilisé et ne
servaient aux Indiens que d’aide-mémoire pour leurs « sages », quand
ils racontaient l’histoire de leur tribu ou de leur clan, histoire qui est très
sujette à caution.
Avant l’arrivée de votre serviteur sur cette terre, les frères
franciscains envoyés cinq ans auparavant par Sa Sainteté le défunt Pape Adrien,
avaient déjà ratissé toute la région qui entoure la capitale. Ces bons frères
ont récupéré, dans les édifices encore debout, des milliers de
« livres » indiens qui auraient pu constituer un fonds d’archives,
mais ils n’avaient pris aucune disposition à leur sujet, en attendant des
ordres supérieurs.
En tant qu’évêque appointé par Votre Majesté, nous avons examiné
personnellement ces « bibliothèques » confisquées et nous n’y avons
trouvé que des dessins criards et grotesques et même cauchemardesques, pour la
plupart : bêtes sauvages, monstres, faux dieux, démons, papillons,
reptiles et autres créatures tout aussi vulgaires. Certains dessins sont censés
représenter des êtres humains, mais – comme dans cet art absurde que les
Bolognais appellent caricatura – les hommes ne se distinguent ni des
cochons, ni des ânes, ni des gargouilles ou de ce genre de choses que
l’imagination peut inventer.
Etant donné qu’il n’y a pas une seule œuvre où l’on ne voie la marque
de superstitions et de mensonges inspirés par le Diable, nous avons ordonné que
ces milliers et milliers de volumes et de rouleaux soient empilés sur la place
publique pour y être brûlés et que les cendres soient dispersées. Nous pensons
que c’est la fin qui convient le mieux à ces mémentos et nous ne croyons pas
qu’il en existe d’autres dans toutes les régions de la Nouvelle-Espagne que
nous avons explorées jusqu’à présent.
Sachez, Sire, que les Indiens qui assistaient à cet autodafé, bien
qu’ils soient presque tous, maintenant, de soi-disant Chrétiens, ont
manifesté un regret et une tristesse éhontés, ils ont même pleuré en regardant
le bûcher, comme l’auraient fait de vrais Chrétiens assistant à la
destruction et à la profanation des Ecritures Saintes. A notre avis, c’est la
preuve que ces créatures ne sont pas aussi sincèrement converties au
christianisme que nous-mêmes et notre sainte mère l’Eglise le souhaiterions.
Par conséquent, le très humble serviteur de Votre Très Pieuse et Très Dévote
Majesté a et aura encore de nombreuses et urgentes tâches épiscopales en vue
d’une plus intense propagation de la Foi.
Nous prions Votre Majesté de comprendre que ces tâches doivent prendre
le pas sur notre fonction d’auditeur et d’examinateur de cet Indien bavard,
sauf à des moments de plus en plus rares où il pourra se libérer. Nous espérons
aussi que Votre Majesté nous pardonnera d’envoyer, parfois, des pages de ce
récit sans lettre d’accompagnement, et quelquefois même, sans les avoir lues au
préalable.
Que le Seigneur Notre Dieu préserve la vie et étende le royaume de
Votre Majesté pendant les nombreuses années à venir, tel est le vœu sincère de
Votre A.I.M.C., l’évêque de Mexico.
( ecce signum ) Zumarraga
QUINTA PARS
Cozcatl, mon petit esclave, accueillit mon retour à Texcoco avec une
joie et un soulagement non dissimulés. Poupée de Jade avait été extrêmement
contrariée que je sois parti et elle avait reporté sa mauvaise humeur sur lui,
et bien qu’elle eût un très grand nombre de servantes, elle s’était approprié
Cozcatl et l’avait chargé de nombreuses corvées et de courses urgentes ;
elle l’avait même fait fouetter pendant mon absence.
Il fit des allusions à la nature abjecte de ces besognes et, sur mon
insistance, il finit par m’avouer que la femme appelée Chose Délicate avait bu
du xoco-atl très toxique, quand on l’avait convoquée pour la seconde fois dans
la chambre de la reine et qu’elle avait expiré dans d’atroces souffrances et
l’écume aux lèvres. Depuis le suicide de Chose Délicate, qui était resté ignoré
à l’extérieur, Poupée de Jade avait dépendu, pour ses plaisirs clandestins, des
partenaires que lui avaient procuré Cozcatl et ses servantes. Je crus
comprendre qu’ils avaient été moins satisfaisants que ceux que je lui avais
trouvés moi-même. Pourtant, la dame ne fit pas tout de suite appel à mes services
et elle n’envoya même pas un esclave me souhaiter la bienvenue
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