Azteca
école de
domestiques. Par contre, je voyais bien que Quequelmiqui éprouvait pour ma
fille des sentiments de mère et au moment de la séparation, il fallut presque
lui arracher l’enfant. Les jours suivants, ils revinrent plusieurs fois, tous
les deux, chez moi pour chercher leurs affaires et Quequelmiqui trouvait
toujours une excuse pour « rester une dernière fois ensemble ».
Même lorsqu’ils furent complètement installés chez eux, elle trouvait
toujours une course à faire dans le coin pour venir la voir. Je ne pouvais pas
m’en plaindre, et je voyais que pendant que je tâchais de gagner l’amour de
Cocôton, Quequelmiqui essayait d’y renoncer. Je faisais tout mon possible pour
que l’enfant accepte comme son père un homme qui était presque pour elle un
inconnu total. Aussi, je comprenais combien il devait en coûter à Quequelmiqui
de ne plus être une mère, après deux années passées à en jouer le rôle.
L’Orateur Vénéré était mort deux jours avant mon arrivée à
Tenochtitlán, mais ses funérailles et le couronnement de Motecuzoma ne
pouvaient se dérouler en dehors de la présence des chefs d’état et des grands
personnages des nations du Monde Unique – dont beaucoup avaient un long chemin
à parcourir. En attendant que tout le monde soit arrivé, le corps d’Ahuizotl
fut conservé dans de la neige que des messagers rapides apportaient de la cime
du volcan.
Le jour des funérailles arriva enfin ; je me trouvais, revêtu de
mon uniforme de Chevalier-Aigle, parmi la foule qui emplissait la grande place
pour ululer le cri de la chouette au moment où les porteurs de litière
emmenaient le défunt Uey tlatoani vers sa dernière demeure. Il me sembla que
l’île tout entière résonnait de ce long cri de lamentation et d’adieu.
Ahuizotl était assis, le corps replié, ses bras enserrant ses genoux
remontés sur sa poitrine. Ses femmes avaient lavé son cadavre avec de l’eau de
trèfle et l’avait parfumé. Les prêtres l’avaient revêtu de dix-sept manteaux,
tous d’un coton si fin qu’ils ne faisaient presque pas d’épaisseur. Par-dessus,
un costume et un masque lui donnaient l’aspect de Huitzilopochtli, le plus
ancien dieu des Mexica. La couleur de Huitzilopochtli étant le bleu, toute la
parure d’Ahuizotl était de cette couleur. Les traits de son masque étaient
dessinés par une mosaïque de morceaux de turquoise sertis d’or, avec de
l’obsidienne et de la nacre pour les yeux et des jaspes rouges pour la bouche.
Son manteau était brodé de jades qui tendaient vers le bleu.
Le cortège était formé par ordre de préséance. Il fit plusieurs fois le
tour du Cœur du Monde Unique, accompagné du battement sourd des tambours qui
faisait un contrepoint à notre chant funèbre. Ahuizotl, dans sa litière,
ouvrait la marche, au milieu du ululement incessant de la foule. A côté,
marchait son successeur, Motecuzoma, traînant tristement les pieds comme
l’exigeaient les circonstances. Pieds nus et vêtu de l’habit noir et loqueteux
du prêtre qu’il avait jadis été, il avait les cheveux en bataille et s’était
mis de la poussière de chaux dans les yeux pour pleurer. Ensuite, venaient tous
les souverains étrangers, parmi lesquels je reconnus quelques vieilles
connaissances.
Derrière, suivait la famille d’Ahuizotl : toutes ses femmes avec
leurs nombreux enfants ainsi que les concubines et leur progéniture. Le fils
aîné d’Ahuizotl, Cuauhtemoc, tenait par une chaîne d’or le petit chien qui
devait accompagner le défunt dans l’autre monde. Les autres enfants portaient
les objets qu’il emmènerait avec lui, ses bannières, ses bâtons, ses coiffures
de plumes, tous les insignes de sa fonction, ses uniformes, ses armes et ses
boucliers.
Derrière la famille marchaient les membres du Conseil ainsi que les
sages et les devins. Puis venaient les nobles les plus éminents de la cour et
ceux des délégations étrangères. Ensuite, les guerriers de la garde personnelle
d’Ahuizotl et les vieux soldats qui avaient servi avec lui quand il n’était pas
encore le Uey tlatoani ; enfin, certains de ses esclaves préférés et, bien
sûr, les chevaliers des trois ordres.
Il fallait que le cortège traverse le lac car Ahuizotl devait reposer
au pied de la colline de Chapultepec, juste au-dessous de l’endroit où son
portrait géant était sculpté dans la roche. Tous les acali, depuis les élégants
bateaux de la cour, jusqu’aux rustiques
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