Azteca
embarcations des transporteurs et des
pêcheurs, avaient été réquisitionnés pour emmener le cortège funèbre et très
peu de simples citoyens avaient pu le suivre. Cependant, nous trouvâmes sur la
terre ferme une foule immense venue de Tlacopan, de Coyoacán et d’autres villes
pour offrir un dernier hommage à Ahuizotl. Le cortège se dirigea vers la tombe
creusée au pied de la colline et les prêtres se mirent à débiter, au défunt,
d’interminables instructions pour qu’il puisse retrouver son chemin dans la
zone inhospitalière qui s’étend entre notre monde et l’au-delà.
La seule créature qui accompagna Ahuizotl dans la tombe fut le petit
chien que Cuauhtemoc avait amené. Pour accéder à l’au-delà, le premier obstacle
qu’Ahuizotl devrait franchir, à ce qu’il paraît, était une rivière noire
coulant au milieu d’une campagne sinistre, à l’heure la plus noire de la plus
sombre nuit. Il ne pourrait la traverser qu’avec l’aide d’un chien qui, en
reniflant, le guiderait sur la rive opposée. Ce chien ne devait être ni blanc
ni noir. S’il était blanc, il pourrait refuser cette tâche en disant :
« Maître, si je suis si propre, c’est que je suis resté très longtemps
dans l’eau et je n’ai pas envie de prendre un bain. » S’il était noir, il
lui rétorquerait : « Maître, vous ne me verrez pas dans le noir et si
vous me lâchez, vous serez perdu. » C’est pourquoi Cuauhtemoc avait pris
un chien couleur hyacinthe, d’un or cuivré comme la chaîne à laquelle il était
attaché.
Après cette noire rivière, bien d’autres obstacles allaient se dresser
qu’Ahuizotl devrait surmonter seul. Il lui faudrait passer entre deux
gigantesques montagnes qui, par moments, s’inclinaient et venaient s’écraser
l’une contre l’autre, sans aucun avertissement. Il devrait aussi escalader une
autre montagne entièrement constituée d’éclats d’obsidienne coupants, ensuite,
se retrouver dans une forêt de mâts presque impénétrable dont les bannières
flottantes lui cacheraient le chemin et lui claqueraient dans la figure pour
l’aveugler. Puis il faudrait qu’il franchisse une zone où il pleuvait des
flèches. Entre-temps, il aurait à se défendre contre des serpents, des jaguars
et des alligators qui chercheraient à lui manger le cœur.
S’il réussissait à surmonter tous ces dangers, il arriverait enfin à
Mictlán où l’attendaient le Seigneur et la Dame des lieux. Il retirerait alors
de sa bouche le morceau de jade avec lequel on l’avait enterré – s’il avait eu
assez de sang-froid pour ne pas crier et le perdre en chemin. Lorsqu’il
donnerait cette pierre à Mictlánte-cuhtli et à Mictláncihuatl, ceux-ci
l’accueilleraient en souriant dans l’au-delà qu’il avait mérité et où il
vivrait pour toujours dans le luxe et la félicité.
Les prêtres ne mirent un terme à leurs prières que vers la fin de
l’après-midi. Alors, on assit Ahuizotl dans sa tombe, le petit chien à ses
côtés ; on versa sur eux de la terre bien tassée, puis des maçons posèrent
une simple pierre sur le tombeau. Il faisait nuit quand les embarcations
revinrent s’amarrer à Tenochtitlán où le cortège se reforma pour regagner le
Cœur du Monde Unique. La foule des citadins avait quitté la place, mais nous
dûmes patienter pendant que les prêtres disaient d’autres prières du haut de la
Grande Pyramide éclairée par des torches et qu’on faisait brûler de l’encens.
Puis en grande cérémonie, ils escortèrent Motecuzoma, toujours pieds nus et en
loques, vers le temple de Tezcatlipoca, Miroir Fumant.
Le choix de ce temple n’avait pas de signification particulière. A
Texcoco et dans d’autres villes, Tezcatlipoca était considéré comme le dieu
suprême, mais à Tenochtitlán, il était beaucoup moins vénéré. Il se trouvait
simplement que ce temple était le seul à posséder une cour fermée. Dès que
Motecuzoma en eut franchi le seuil, les prêtres refermèrent les portes sur lui.
Le nouvel Orateur Vénéré devrait rester là, isolé, pendant quatre jours et
quatre nuits, sans manger et sans boire, à méditer sous le soleil ardent ou
sous la pluie battante, selon le choix des dieux et en dormant à même le sol de
pierre. A quelques moments précis, seulement, il pourrait rentrer dans le
temple pour prier les dieux qu’ils le guident dans la mission qui serait
bientôt la sienne.
Le cortège se dispersa. Chacun rentra chez
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