Azteca
aussi
subrepticement qu’ils étaient arrivés. Derrière le banc, des flammes bleues
vacillaient et dans cette lumière lugubre, les fleurs de tapachini qui
tombaient sur moi, prenaient une teinte sombre et cramoisie, comme des gouttes
de sang. Je frissonnais. Autour de moi, tout n’était que ténèbres, désolation
et le vent nocturne semblait gémir : « Souviens-toi…»
***
Je fus réveillé par le préposé à l’éclairage qui faisait sa tournée
matinale et je me mis à rire de mes ridicules songeries de la veille. Je
retournai au palais, tout raide d’avoir dormi sur un froid banc de pierre,
pensant trouver toute la cour endormie. Pourtant, il y régnait une grande
excitation. Les gens allaient et venaient en tous sens et des soldats mexica en
armes étaient postés devant toutes les portes du palais. Je trouvai enfin le
prince Saule qui me mit au courant de la situation et je me demandai si j’avais
vraiment rêvé, car il m’apprit que Motecuzoma s’était rendu coupable d’un acte
sans précédent.
Une tradition inviolable voulait que les funérailles d’un chef d’état
ne soient jamais souillées par des assassinats ou par d’autres félonies. Comme
vous le savez, Nezahualpilli avait licencié l’armée acolhua et les troupes de
pure forme qui subsistaient n’étaient pas préparées à repousser une attaque.
J’ai dit que Motecuzoma avait délégué son Femme-Serpent et son frère
Cuitlahuac, chef de l’armée, mais j’ignorais que ce dernier s’était fait suivre
d’un acali de guerre chargé de soixante guerriers mexica triés sur le volet,
qui avaient débarqué secrètement aux environs de Texcoco.
Pendant la nuit, tandis que je conversais avec des ombres, Cuitlahuac
et ses hommes avaient chassé les gardes du palais et investi les bâtiments
pendant que le Femme-Serpent avait convoqué tout le monde pour entendre une
proclamation. Le prince héritier Fleur Noire ne prendrait pas la succession de
son père. Motecuzoma, en tant que chef de la Triple Alliance, avait décrété que
la couronne irait au prince Cacama, Epi de Maïs, fils de l’une des concubines
de Nezahualpilli, qui se trouvait être, comme par hasard, la plus jeune sœur de
Motecuzoma.
Jamais un tel coup de force ne s’était produit. Toute admirable qu’ait
été, dans son principe, la politique de paix de Nezahualpilli, elle avait
laissé le pays dans l’incapacité de résister à cette ingérence des Mexica. Le
prince Fleur Noire entra dans une noire fureur, mais il ne put rien faire
d’autre. Cuitlahuac n’était pas un mauvais bougre, bien qu’il fût le neveu de
Motecuzoma et qu’il dût suivre ses ordres. Il exprima ses regrets au prince
déposé et lui conseilla de se mettre discrètement à l’abri avant que Motecuzoma
ne conçoive l’idée de le faire prisonnier ou de l’éliminer.
Fleur Noire quitta donc Texcoco le jour même, accompagné de ses
courtisans, de ses domestiques et de sa garde personnelle, ainsi que de
beaucoup de nobles indignés qui jurèrent hautement de se venger de la trahison
de leur allié de toujours. Le reste de la population de Texcoco ne put que
bouillir d’une rage impuissante en attendant le couronnement du neveu de
Motecuzoma comme Orateur Vénéré des Acolhua.
Je ne restai pas pour assister à la cérémonie. J’étais un Mexicatl et
les Mexica n’étaient plus très bien vus à Texcoco. Du reste, je ne me sentais
pas particulièrement fier d’en être un. Mon vieux camarade Saule, lui-même, me
regardait d’un drôle d’air, se demandant, sans doute, si j’avais proféré une
sorte de menace le soir où je lui avais dit : « Motecuzoma ne va pas
éprouver plus de sympathie pour votre frère qu’il n’en a eue pour votre
père. »
Je rentrai donc à Tenochtitlán où les prêtres célébraient dans la
liesse un rituel spécial en l’honneur de « l’habile stratagème de notre
Orateur Vénéré ». Les fesses de Cacamatzin s’étaient à peine posées sur le
trône de Texcoco qu’il avait déjà annoncé un renversement dans la politique de
son père. Il allait lever une armée acolhua pour aider son oncle Motecuzoma à
lancer une nouvelle attaque contre Texcala, l’éternelle insoumise.
Cette campagne fut de nouveau un échec. Le jeune et belliqueux allié
que Motecuzoma s’était lui-même choisi ne lui fut pas d’un grand secours.
Cacama n’était ni aimé, ni craint et son appel aux volontaires ne reçut aucun
écho.
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