Bombay, Maximum City
s’y procure des AK-47, des grenades à main, des fusils automatiques équipés de silencieux, alors qu’en ce début du XXI e siècle, des sections entières de la police de Bombay n’ont toujours que des fusils d’assaut datant de la Deuxième Guerre mondiale. « Quand l’armée a été modernisée, la police a hérité de son vieux stock d’armes, explique Ajay. Il y avait pénurie de revolvers et de pistolets. » Au début de sa carrière, lorsqu’il quittait le service Ajay remettait son arme à l’officier qui le remplaçait. Face à un tueur professionnel qui le braque avec son Mauser, l’agent de base doit, dans l’ordre : détacher l’impressionnant mousquet qu’il porte en bandoulière, introduire la cartouche, lever sa pétoire à hauteur d’épaule, aligner la cible sur la mire et presser la détente. Dans l’intervalle, le flingueur qu’il visait a eu le temps de mettre les voiles pour Dubaï.
Même s’il arrive que les policiers soient aujourd’hui mieux outillés, leur entraînement est loin d’être suffisant, ainsi qu’en témoigne cette autre anecdote racontée par Ajay. À la fin des années quatre-vingt, alors qu’il était en poste dans le nord-est de Bombay, un de ses subalternes l’a appelé parce qu’il avait un souci avec un éléphant devenu fou furieux. Ajay lui conseilla de prévenir un vétérinaire. Peu de temps après, il reçut un autre coup de fil : l’éléphant déchaîné déracinait tout ce qui lui tombait sous la trompe. Ajay, à contrecœur, partit constater les dégâts. Quand il arriva sur les lieux, le vétérinaire avait endormi le pachyderme et s’occupait de le charger sur un camion à l’aide d’une grue. L’agent de police lui montra les dégradations causées par l’animal et lui confia d’un air contrit qu’il avait été obligé de lui tirer dessus. Le vétérinaire fut donc averti que l’éléphant avait reçu une balle. En fin de soirée, il appela Ajay pour lui dire qu’il n’avait pas trouvé trace du projectile. Ajay lui demanda d’insister : « Je lui ai fait remarquer que ce genre de bestiole a le cuir épais et que s’il le passait au peigne fin il finirait par récupérer la balle. » La nuit était bien avancée quand le véto téléphona à nouveau pour confirmer que l’éléphant ne présentait pas la moindre éraflure.
Le lendemain matin, Ajay qui voulait en avoir le cœur net retourna sur le site, accompagné du tireur d’élite. Il trouva la balle encastrée dans la porte d’un dispensaire que l’animal cachait à moitié au moment où l’agent avait fait feu. « Il l’avait tout simplement raté.
— À quelle distance a-t-il tiré sur l’éléphant ?
— Trois mètres, environ. »
À supposer qu’Ajay arrête un suspect et mette la main sur son arme, l’infrastructure dont dépend une condamnation éventuelle – des labos de la police scientifique aux dernières techniques de recueil des preuves en passant par le ministère public – est d’une effarante inconsistance. « C’est facile de parler des droits de l’homme quand on ne vit pas ici. À New York ou au Royaume-Uni, les aveux passés devant un officier de police sont recevables. Chez nous, ce n’est pas le cas. On nous refile les avocats de seconde zone, ceux qui ne sont pas assez bons pour avoir une clientèle privée. Les gangs s’offrent les meilleurs. » À l’ère de l’économie de marché, de la mondialisation et des multinationales, « la police reste une institution à but non lucratif : pourquoi irait-on investir de l’argent dedans ? ».
Elle coupe donc au plus court pour mener ses enquêtes. En 1997, le Maharashtra s’est classé au premier rang des États indiens pour le nombre de décès en garde à vue : deux cents au total, soit une augmentation de cinq cents pour cent par rapport à l’année précédente (trente cas signalés). En termes clairs, cela signifie que deux cents personnes ont été torturées à mort dans les locaux de la police ! Plus que dans bien des dictatures militaires de la planète. À en croire un rapport officiel sur les causes de cent cinquante-cinq des décès en garde à vue enregistrés dans le Maharashtra au cours des années quatre-vingt, quinze seulement seraient imputables à « l’action de la police ». Les autres sont consécutifs à des « chutes accidentelles ».
Dans cette partie du monde, la plupart des gens, riches ou pauvres, évitent soigneusement
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