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Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
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mis les pieds. J’appartiens à une autre génération que celle de mes jeunes cousins, tel Sameer, qui le jour où il débarqua à l’aéroport JFK au sortir de l’avion en provenance de Bombay portait une casquette de baseball au logo des Mets et avait déjà un accent américain à peu près correct. En l’espace de vingt-quatre heures, ce voyage me fit basculer de l’enfance à l’âge adulte, de l’innocence à la connaissance, de la prédestination au chaos. Tout ce qui s’est passé depuis, chaque geste dérisoire ou au contraire fondamental – ma manière à moi de me servir d’une fourchette ou de faire l’amour, le métier que j’ai choisi, la femme que j’ai épousée – fut déterminé par cet événement central, au pivot du temps qui m’est imparti.
     
    Chez mon grand-père, à Calcutta, au fond de la maison il y avait une pièce sombre, chaude, utérine, où l’on conservait les vieux numéros du Reader’s Digest. L’été, je dévorais ces histoires vraies rocambolesques, me délectais des activités d’espionnage des ignobles communistes, des blagues tout public sur les bouffonneries des enfants ou des domestiques. Telle fut mon initiation à l’Amérique. Imaginez ma surprise quand j’y arrivai. Je ne le savais pas, à l’époque, mais j’eus tout de même de la chance qu’entre toutes les villes où mon père aurait pu nous emmener il ait jeté son dévolu sur New York. « C’est exactement comme à Bombay » : voilà comment on explique New York aux Indiens d’Inde.
    L’année qui suivit notre installation en Amérique, je commandai ses trésors jusqu’alors inaccessibles, en l’espèce les gadgets vantés par les publicités qui s’étalaient au verso des pages de couverture de mes bandes dessinées. Pour mes amis de Bombay, j’ai acheté la bague à vibrations, le fantôme planant, l’hovercraft, les lunettes à rayons X. Le paquet est arrivé par courrier. Je l’ai regardé, avant de l’ouvrir : il contenait ce qui nous avait si longtemps été refusé. Puis la camelote en a jailli. Le fantôme planant était un sac-poubelle en plastique blanc complété d’une baguette fixée au fond ; à en croire les instructions, il suffisait de vaguement l’agiter pour semer l’épouvante. Avec leur monture en plastique, les lunettes à rayons X ressemblaient à celles en 3D dont on vous équipait au cinéma pour les films de science-fiction, à cela près que sur les deux verres il y avait un squelette grossièrement dessiné. L’hovercraft, c’était une espèce d’éventail rouge à moteur qui s’élevait effectivement sur les surfaces bien planes. Enfin, la bague à vibrations se résumait à une sorte d’anneau à tenir caché au creux de la paume ; on le remontait avant de serrer la main de la victime, et la pression exercée sur le bouton provoquait comme une décharge électrique. J’ai longuement contemplé ce bric-à-brac éparpillé à mes pieds. Il m’était déjà arrivé de me faire avoir, à Bombay ; la sensation était familière. Je n’en ai pas moins réexpédié le carton à mes amis de là-bas, accompagné d’une lettre leur indiquant les possibles façons d’utiliser les gadgets : ils pouvaient, par exemple, attacher une ficelle au fantôme et le balancer devant les fenêtres des étages inférieurs pour, avec un peu de chance, effrayer les petits enfants, à la nuit tombée.
    Mes cadeaux plairaient, je le savais. Peu importait leur qualité : ils étaient « importés », et c’est à ce titre qu’ils seraient appréciés. Dans notre salon de Bombay, il y avait une vitrine où étaient exposés des objets rapportés d’Europe et des États-Unis – le butin des voyages d’affaires de mon oncle : des petites voitures, des mignonnettes de spiritueux, de longues allumettes anglaises rangées dans un cylindre représentant un hallebardier de la tour de Londres, avec son bonnet noir à poil, une tour Eiffel miniature. Des jouets, aussi, pour les enfants (une fusée Apollo 11 qui marchait avec des piles, une voiture de police au gyrophare bleu, un poupon qui pouvait boire et qui mouillait sa couche), mais qu’on ne sortait pour ainsi dire jamais. Les gosses de l’immeuble s’attroupaient devant la vitrine pour regarder ces trésors auxquels il nous était défendu de toucher car nous aurions pu les casser.
    En Amérique aussi il y avait une vitrine, à la maison. On y conservait les souvenirs d’Inde : un couple de

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