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Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
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sont toujours aux BD d’Archie. Ces élèves jusqu’alors plutôt médiocres passent maintenant plusieurs heures par jour à étudier une théorie de la connaissance qui compte parmi les plus sophistiquées jamais produites par l’esprit humain. Là où la logique aristotélicienne pose qu’une proposition est nécessairement soit vraie, soit fausse – il n’y a pas de moyen terme –, la logique jaïn discerne pas moins de sept possibilités. Cette conception raisonnée de la vérité a reçu le nom de syadvada, « la doctrine du peut-être ». Les Ladhani ont tout loisir pour étudier. La structure rigide de la vie monacale ménage un espace de liberté à la vie de l’esprit.
    Et puis il y a cette joie qui se lit sur son visage, ce sourire si prompt à surgir. J’ai plus de doutes s’agissant des enfants. Son entreprise a essuyé des pertes énormes. Est-ce la vraie raison qui l’a poussé à quitter le monde ? Qu’est-ce qui lui pesait tant ? Est-ce qu’il ne s’entendait plus avec sa femme ? « J’ai un passé épouvantable, m’a dit Sevantibhaï. Tout Dhanera est au courant. » Il a eu plus que sa part de soucis pendant les sept ans qui ont précédé la diksha, des soucis d’argent, des soucis familiaux. Il m’a montré les deux récipients rouges creusés dans une calebasse dont il se sert pour le gocari : « Je mange, je nettoie. Je ne m’inquiète plus de savoir si la bonne va venir faire la vaisselle. Je ne suis plus stressé. Je ne me demande pas ce que je vais faire demain. » L’esprit libre, il peut se concentrer sur le moksha. Le sort de sa famille, la réussite ou la faillite de son affaire ne le préoccupent plus.
    Dans les villes où je réside, je continuerai longtemps à penser à Sevantibhaï, à la simplicité absolue de l’existence qu’il a choisie. À New York je me débats dans les ennuis d’argent. Comment vais-je élever mes enfants ? Aurai-je jamais les moyens d’être propriétaire ? J’approche du milieu de ma vie et j’ai l’impression d’être chaque jour plus pauvre, en comparaison de mes anciens condisciples qui s’enrichissent dans les technologies de pointe ou à la Bourse, s’achètent des appartements et des voitures et mènent un train de vie hors de ma portée. Je n’ai jamais gagné autant de sous et malgré cela je ne me suis jamais senti plus pauvre. Il me semble que j’y suis presque, qu’enfin je vais savoir ce que c’est – la sécurité financière (sinon la fortune), une carrière digne de ce nom –, mais chaque fois ce que je croyais saisir me glisse entre les doigts comme les grenouilles de la mare de l’école Walshingham. Nous les attrapions à mains nues et les serrions si fort que cela tenait du miracle impossible de les sentir soudain jaillir d’un bond hors de nos poings fermés. Sevantibhaï a dépassé tout cela. Il a une longueur d’avance sur ses soucis, il a été plus rapide, plus malin qu’eux. Désormais, la réponse qu’il oppose à l’éventuelle faillite de son entreprise est simple : je n’ai plus rien, je n’ai donc rien à perdre. Il a la même attitude vis-à-vis de ceux qu’il a aimés : ils ne sont plus rien pour moi, aussi ne suis-je pas affecté par leur mort ou par la maladie qui les frappe. Il a de lui-même renoncé à tout ce qui pouvait lui être retiré. Quant à moi je m’obstine toujours à accumuler des choses que je finirai par perdre, à m’angoisser à l’idée de ne pas en avoir suffisamment ou, lorsque je les ai, d’en être privé. La mort aussi m’angoisse.
    Il n’y a pas plus grande violence que sa propre mort – pour autant du moins qu’on lutte contre. Sevantibhaï triomphe sur tout, y compris sur sa mort. Il s’est dépouillé de tout ce qui revient de droit à la mort – la famille, les biens matériels, les plaisirs. Il lui reste en tout et pour tout son corps, mais il a renoncé d’avance au titre qu’il avait dessus et il le traite comme une chemise sale qu’il aurait empruntée. Il lui tarde de l’ôter. Sevantibhaï a battu la mort, pour finir. Il a démissionné avant d’être renvoyé.

Un parmi des milliers
    Pour Utran {226} , j’emmène les enfants chez mon cousin par alliance qui vit en ville à Prarthana Samaj. J’ai de bons souvenirs de cette fête. Ce jour-là, nous faisions voler des cerfs-volants, des bidules tout simples fabriqués avec du papier de soie et des baguettes, qui planaient dans l’azur et que nous nous

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