Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
Vom Netzwerk:
peur de mourir n’ont pas peur non plus de la douleur physique. Ceux-là, on les menace de s’en prendre à leur famille. Je leur raconte que je vais bricoler des preuves pour arrêter leur mère, leur frère. En général, ça marche. »
    Quand ses hommes ont affaire à un individu peu loquace, il est assez fréquent qu’ils viennent le trouver pour lui dire : « Saab, on a besoin de vous pour lui flanquer les jetons. » Ils amènent donc leur prisonnier dans l’imposant bureau dévolu à Ajay et lui glissent à l’oreille : « Le Saab ne te fera pas de cadeaux ; ça ne dépend plus de nous. Tu es foutu. » Ils lui laissent entendre que les choses pourraient s’arranger s’ils intercédaient en sa faveur, s’ils présentaient à leur chef le rapport qu’il attend, bref, qu’en coopérant il s’éviterait une longue nuit de tortures atroces. « Tout ça est très classique, résume Ajay. C’est la carotte et le bâton. »
    Il nous cite encore un dernier procédé : obliger le suspect à manger un kilo de jalebis {97} sans lui accorder une goutte d’eau. Ce supplice me paraît étonnamment clément, pour ne pas dire appétissant.
    « Vous vous êtes déjà gavé de sucreries sans rien boire ? ironise Ajay. Si vous en avaliez un kilo vous feriez n’importe quoi pour avoir de l’eau. »
     
    Quelques semaines plus tard, Ajay Lal me tend un gros carnet relié en cuir qu’il vient de sortir d’un tiroir de son bureau. Chaque jour, pendant des années, il a consigné dedans les notes relatives à son enquête sur les attentats à la bombe. La lecture de ce journal de bord permet également de retracer les débuts de la guerre des gangs.
    Dans la ville de Bombay, le crime organisé est aux mains de deux expatriés, ou Indiens non-résidents dans le jargon officiel. L’un réside à Karachi et l’autre en Malaisie – ou bien à Bangkok ou au Luxembourg, selon les jours. La guerre des gangs est une conséquence directe des attentats à la bombe de 1993, lors desquels les bombes posées par le syndicat du crime musulman que dirige Dawood Ibrahim (la Compagnie-D, comme on dit ici) ont tué trois cent dix-sept personnes en représailles aux pogroms anti-musulmans qui avaient eu lieu quelques mois plus tôt. À la suite des attentats, le bras droit de Dawood, un hindou du nom de Chotta Rajan, a rompu avec son patron pour fonder son propre gang, la Compagnie Nana, ainsi appelée parce que ses hommes considèrent Rajan comme leur « nana », leur grand frère. Rajan a juré d’éliminer tous ceux qui avaient prêté la main aux attentats. Depuis, c’est la guerre entre les deux parrains qui contrôlent leurs organisations respectives de l’étranger.
    Ici, l’expression guerre des gangs ( gangwar en anglais, ou « gengwar » avec l’accent local) ne désigne pas simplement l’affrontement entre deux clans. Ces mots renvoient en fait à la pègre dans son ensemble et dans toute sa complexité. C’est une affirmation identitaire (« Nous, on est dans le gengwar ») qui permet de se démarquer du menu fretin des délinquants voleurs, violeurs et chapardeurs, une façon d’être, une appartenance. « Milieu » est également un terme très usité, associé à la mystique du pouvoir, mais à Bombay c’est presque un contresens de l’appliquer au crime organisé car il recouvre une réalité trop diffuse et clandestine. La pègre de Bombay agit à visage découvert ; loin de se tapir dans les bas-fonds, elle surplomberait plutôt la ville et peut fondre dessus pour frapper où elle veut, quand elle veut. Lorsqu’ils évoquent les centres opérationnels de leurs clans – Karachi, Dubaï, la Malaisie… – les tueurs disent upar, « là-haut », alors que dans leur vocabulaire Bombay est neeche, « en bas ».
    Né en 1955 à Ratnagiri, dans la région côtière de Konkan, Dawood Ibrahim Kaskar est l’un des dix enfants d’un commissaire de la brigade criminelle, Ibrahim Kaskar, connu pour sa brutalité. Les annales ont notamment retenu l’histoire de cette bande de jeunes qui, après avoir braqué une banque, commirent l’erreur d’aller décorer la tombe d’un saint musulman avec des billets de cent roupies et de donner leur butin à des fakirs. La police réussit à épingler quatre des coupables, et sur les instructions du commissaire qui avait ordonné de retrouver l’argent à tout prix, deux des garçons moururent sous les coups des flics
    Dawood a démarré sa

Weitere Kostenlose Bücher