Bonaparte
égyptienne, non loin de la plage du Marabout. À trois heures du matin, il passe en revue cinq mille hommes.
Leur moral est exécrable.
Toute l’armée est même « en insurrection », précisera Bonaparte. Pas plus le ravitaillement que le matériel, pas plus les chevaux que l’artillerie n’ont été débarqués. Les puits sont vides... Pas une goutte d’eau à trouver. « Entre nous, écrira le lieutenant Thurman à sa famille, je puis vous assurer que la soif de nos soldats fut le premier mobile de la prise d’Alexandrie. Au point où l’armée en était, il fallait trouver de l’eau ou périr. »
Et l’on se met en marche vers la ville. Des cavaliers bédouins tourbillonnent sur les côtés et sur les arrières de la colonne. Les traînards – parmi lesquels se trouvent plusieurs femmes – sont faits prisonniers. « Lorsque les captifs furent restitués quelques jours plus tard, le récit qu’ils firent se propagea dans l’armée entière et supprima toute envie de rester à la traîne lors des marches qui suivirent. Les prisonniers mâles, par leur peau blanche et douce, avaient provoqué l’admiration de leurs ravisseurs, décharnés, mais vigoureux, qui les avaient abondamment violés ; les femmes, elles, avaient seulement été battues. Les goûts des personnes qui se nourrissent toute l’année de lait de chameau sont imprévisibles {17} ... »
À la pointe du jour, l’avant-garde arrive devant Alexandrie. Bonaparte ne pense plus à la soif : il vient de voir se dresser dans la claire lumière de l’aube, la fière colonne de granit rouge de Pompée. Il court vers elle et escalade le socle. Il regarde les deux obélisques de Cléopâtre et les remparts arabes d’où émergent les minarets et les coupoles.
L’Orient de ses rêves est devant lui...
Des murailles, on commence à parlementer avec les défenseurs assez mal armés. « Tout à coup, racontera le lieutenant Desvernois éclatent des hurlements effroyables d’hommes, de femmes et d’enfants et une décharge d’artillerie nous fait connaître les intentions des Arabes. Bonaparte fait alors sonner la charge et les hurlements redoublent. À onze heures du matin, cheiks et ulémas livrent la ville. Dès son arrivée, « Bonaparte, membre de l’Institut national, général en chef », lance aux Égyptiens une solennelle proclamation dans laquelle il précise fort habilement :
« Peuples de l’Égypte, on vous dira que je viens détruire votre religion ; ne le croyez pas ! Répondez que je viens vous restituer vos droits, punir les usurpateurs et que je respecte, plus que les Mameluks, Dieu, son prophète et l’Alcoran... Dites-leur que tous les hommes sont égaux devant Dieu ; la sagesse, les talents et la vertu mettent seuls de la différence entre eux. Or, quelle sagesse, quels talents, quelles vertus distinguent les Mameluks, pour qu’ils aient exclusivement tout ce qui rend la vie aimable et douce ? Y a-t-il une belle terre ? Elle appartient aux Mameluks. Y a-t-il une belle esclave, un beau cheval, une belle maison ? Cela appartient aux Mameluks. Si l’Égypte est leur ferme, qu’ils montrent le bail que Dieu leur en a fait. Mais Dieu est juste et miséricordieux pour le peuple... »
Napoléon le reconnaîtra plus tard avec franchise : il s’agissait là d’une forme de démagogie qu’il appellera de nouveau du « charlatanisme ». Et il s’exclamera :
— Il faut être charlatan ! Ce n’est que comme cela qu’on réussit.
Il lui faut l’être, assurément, pour enjoliver la première – et détestable – impression. La chaleur est épouvantable et la poussière qui flotte dans l’air, desséchant gorge et poitrine, se trouve si dense que l’on « voit à peine le disque du soleil ». Le ravitaillement est inexistant, aussi Bonaparte, le 5 juillet, fait-il venir plusieurs cheiks. Après un interminable marchandage, il est décidé, contre paiement en espèces, que les Bédouins fourniraient trois cents chevaux et cinq cents chameaux... mais l’accord conclu, rien ne se présente.
Il l’avouera plus tard, « il n’en revient pas d’étonnement » en voyant la médiocrité du port d’Alexandrie.
— Six flûtes ne pouvaient pas y entrer ; je croyais pouvoir y mettre ma flotte en sûreté !
Il demeure là jusqu’au 7, ignorant encore le drame qui se joue sur la route du désert. Le 4 juillet, la division Desaix, envoyée en avant-garde, s’est enfoncée à travers le désert de Bahyreth pour
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