Bonaparte
joindre Le Caire par Damanhour, une marche, racontera le soldat François, « dans une campagne de sable, plate, stérile, sans arbres, sans maisons, et par une chaleur insupportable, qui nous oblige à consommer en peu d’heures, le peu d’eau que nous avions pu recueillir... Vers les quatre heures de l’après-midi, halte près de deux puits qu’a fait nettoyer le général Desaix. En cinq minutes, ces puits ont été taris ; des soldats se pressaient pour y descendre en si grand nombre que plusieurs Ont été étouffés ; d’autres ont été écrasés par la foule. Plus de trente soldats sont morts autour de ces puits. Plusieurs, ne pouvant avoir de l’eau, se sont suicidés. »
Épouvanté, Desaix prévient Bonaparte : « Si toute l’armée ne passe par le désert avec la rapidité de l’éclair, elle périra ».
Napoléon est bien de cet avis. Il a sans cesse présent à l’esprit l’exemple de Saint-Louis qui, devant ce même désert « passa huit mois à prier, alors qu’il eût fallu les passer à marcher, à combattre et à s’établir dans le pays ».
Il faut battre rapidement l’armée des Mameluks ! Après avoir organisé la « base » d’Alexandrie, Bonaparte part à son tour pour Damanhour où l’avant-garde est en train de se refaire. Dans cette bourgade misérable – bien des villages égyptiens d’aujourd’hui étalent un semblable dénuement –, les hommes ont pu acheter des galettes plates, non contre des pièces de monnaie, mais contre des boutons de leurs uniformes. Les Égyptiens croient dur comme fer que les mameluks vont bientôt rejeter les envahisseurs à la mer. Que se passera-t-il quand les futurs vainqueurs découvriront par la présence des pièces que les marchands ont commercé avec les Français ? En montrant des boutons d’uniformes, les Égyptiens pourront affirmer avoir massacré les Infidèles...
Bonaparte s’installe chez le cheik local dans une maison dont l’intérieur est « dans un délabrement inimaginable ». Le propriétaire possède cependant quelque bien et le général en chef s’étonne.
— Il y a quelques années, explique le cheik, que j’ai fait restaurer ma maison et acheté quelques meubles : on l’a su au Caire, on a exigé de l’argent, parce que ces dépenses prouvaient que j’étais riche. J’ai refusé, on m’a maltraité, il a fallu payer. Depuis ce temps, je me réduis au plus strict nécessaire et je ne répare plus rien.
Le 10 juillet, le quartier général arrive à Rahmahanie’h, sur les bords du Nil. Les soldats se précipitent pour boire l’eau du fleuve et s’y baigner, puis dévorent les pastèques qui poussent dans les champs avoisinants. On devine le résultat : toute l’armée est bientôt atteinte de dysenterie.
Pendant ce temps, Bonaparte « inspecte » le Delta.
— Si j’étais le maître de ce pays, dit-il à Desaix, pas une goutte d’eau du fleuve ne se perdrait dans la mer.
Le 13 juillet, à Chebreïss, pour la première fois, il rencontre les Mameluks de Mourad-Bey. Ces terribles cavaliers sont persuadés qu’ils vont faire de ces soldats français exténués de la « poussière de paille ».
Au moment où va s’engager la bataille, Bonaparte ordonne de former plusieurs carrés au centre desquels se placent l’artillerie et le peu de cavalerie dont il dispose. « Au lever du soleil, raconte un témoin, une musique guerrière retentit tout à coup. Le général en chef avait donné l’ordre de jouer La Marseillaise, dont il connaissait bien l’effet sur la troupe. Cet admirable chant excite l’audace des soldats, allume leur patriotisme et leur fait comprendre que l’heure de se plaindre est passée et qu’il faut vaincre. »
La formation en carré intrigue les Mameluks. Avec leurs magnifiques chevaux couverts d’or et d’argent, ils essayent bien de charger, mais, chaque fois, l’artillerie, du centre même de ces fortins vivants, les cloue sur place.
Pendant ce temps sur le Nil, le duel entre canonnières françaises et mameluks se poursuit. Elles échangent quinze cents coups de canon, jusqu’au moment où le principal bateau ennemi saute, envoyant son équipage « en l’air, comme des oiseaux ».
C’est la victoire.
Bonaparte est devenu pour les indigènes, admiratifs et respectueux, « le père du feu »... De nouveau, il insiste sur la protection d’Allah.
— Retourne à la mosquée remercier Dieu de ce qu’il a donné la victoire à la juste cause, déclare-t-il au
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