Bonaparte
après ces luttes d’esprit, il donnait la préférence à ceux qui avaient défendu avec habileté une proposition absurde, sur ceux qui s’étaient faits les défenseurs de la raison
— Un jour, il demandait si les planètes étaient habitées ; un autre jour, quel était l’âge du monde ; puis, il donnait pour objet de la discussion, la probabilité de la destruction de notre globe, soit par l’eau, soit par le feu ; enfin la vérité ou la fausseté des pressentiments et l’interprétation des rêves. »
C’est là ce qu’il appellera son Institut. « Quelques incidents bouffons, racontera encore Arnault, avaient tempéré parfois le sérieux de ces séances, qui n’étaient pas du goût de tout le monde, et auxquelles le général en chef avait presque exigé que tout le monde assistât. Ils provenaient presque tous de Junot à qui le général passait beaucoup de choses, et qui s’en permettait beaucoup. »
Un jour, Junot feint de s’endormir, ou s’endort peut-être...
— Qui est-ce qui ronfle ici ? demande le général.
— C’est Junot ! répond Lannes.
— Réveillez-le !
On réveille Junot qui, un moment plus tard, ronfle de plus belle.
— Réveillez-le donc, vous dis-je !
Junot ouvre un oeil.
— Qu’as-tu donc à ronfler ainsi ? demande Bonaparte.
— Général c’est votre sacré fichu Institut qui endort tout le monde, excepté vous.
— Va dormir dans ton lit !
— C’est ce que je demande, s’exclame en se levant l’aide de camp.
Prenant cela pour un congé définitif, Junot se crut dès lors autorisé à ne plus assister aux séances de l’Institut d’Égypte.
Le 9 juin, après trois semaines de mer, l’Orient et l’escadre française arrivent devant le port de La Valette. « Jamais, racontera un témoin, Malte n’avait vu dans ses eaux une flotte aussi nombreuse. La mer était au loin couverte de bâtiments de toutes grandeurs, dont les mâts ressemblaient à une immense forêt. » Aussitôt l’ancre jetée, Bonaparte envoie Desaix à Ferdinand Hompesh, Grand Maître de l’Ordre, pour lui demander de « permettre à l’escadre de faire de l’eau ». La réponse du Grand Maître est loin d’être satisfaisante : il n’accorde la permission de débarquer qu’à quatre bâtiments à la fois. La nuit suivante, le consul de France à Malte – le citoyen Caruson – appelé à bord du vaisseau amiral, écrit à Hompesh : « Quel temps ne faudrait-il pas à cinq ou six cents voiles pour se procurer de cette manière, l’eau et d’autres choses dont elles ont un pressant besoin ? Le général Bonaparte est résolu à se procurer de force ce qu’on aurait dû lui accorder, en suivant les principes de l’hospitalité... »
Les chevaliers de Malte peuvent-ils résister ? Ils sont trois cent trente-deux – dont deux cents Français – et les dix à douze mille hommes de la garnison maltaise n’ont aucune allure guerrière. L’artillerie – un millier de canons – est inutilisée depuis un siècle, cependant Hompesh hésite. Bonaparte n’est pas d’humeur à attendre sous l’orme. Et l’ordre est donné d’attaquer les premières défenses de La Valette. Une résistance de ces vieux débris du Moyen Age chrétien – même de quelques jours – eût certes fort ennuyé Bonaparte qui s’attendait toujours à voir apparaître les voiles de Nelson. Fort heureusement, la peur fait perdre la tête au Grand Maître et il prend le parti de capituler. Malte est cédé à la France moyennant l’octroi de pensions au Grand Maître et aux Chevaliers.
« L’armée est prévenue que l’ennemi s’est rendu, déclare Bonaparte ; l’étendard de la liberté flotte sur les forts de Malte. »
Il peut se féliciter. En examinant les fortifications ceinturant le port et la ville, le chef du génie, le général Caffarelli, lui déclare :
— Il est fort heureux qu’il se soit trouvé des gens dans la place pour nous en ouvrir les portes ; car, si elle eût été déserte, tous les efforts de l’armée n’auraient pu lui en procurer l’entrée.
Durant la semaine où il restera à Malte, Bonaparte, « avec l’impétuosité d’un cyclone » – l’expression est de Herold – dicte cent soixante-huit rapports. Il organise, légifère, s’occupe de l’aménagement des hôpitaux, de la religion, de la garde nationale, des impôts, de la poste, du costume, de la justice, des pensions. Il réquisitionne de l’argent, des armes, des vaisseaux, des
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