Bonaparte
frégates, des galères de l’Ordre et renvoie vers le continent les chevaliers – sauf trente-quatre qui s’engagent dans l’armée d’Égypte. Les expulsés ont seulement le droit d’emporter avec eux deux cent quarante francs pour leurs frais de voyage.
Le 17 juin, l’avant-veille de son départ, il peut écrire au Directoire : « Quoi qu’il en soit, nous avons, dans le centre de la Méditerranée, la place la plus forte de l’Europe, et il en coûtera cher à ceux qui nous délogeront. »
Le 19 juin, Bonaparte quitte Malte. Nelson court toujours après lui sans le joindre. Dans la nuit du 22 au 23, les vaisseaux de l’amiral anglais, marchant deux fois plus vite que ceux de Bonaparte, passent sans s’en apercevoir à quelques milles de distance des Français. Le 25, la flotte d’invasion est en vue de la Crète – ce qui fournit au général en chef un nouveau thème de discussion : « les fables ingénieuses de la Mythologie et la décadence de l’empire d’Orient ». Le 29 juin, Nelson, avec quatorze vaisseaux, entre dans le port d’Alexandrie. Point de flotte française ! Ulcéré, les nerfs à bout, il repart vers la Sicile.
Il en reviendra.
Deux jours plus tard, à la pointe du jour, Bonaparte a devant lui la côte de l’Égypte. Alexandre et César avaient connu avant lui ce même spectacle. La vue de ce pays plat et brûlé par le soleil fait naître parmi la troupe la plaisanterie bientôt classique :
— Regarde ! voilà les six arpents de terre qu’on t’a décrétés !
Sur chaque unité de l’armada, on lit la proclamation écrite par le général : « Soldats ! Vous allez entreprendre une conquête, dont les effets sur la civilisation et le commerce du monde, sont incalculables. Vous porterez à l’Angleterre le coup le plus sûr et le plus sensible, en attendant que vous puissiez lui donner le coup de mort... »
Bonaparte recommande ensuite aux athées républicains, à ceux qui, il n’y a guère longtemps, acclamaient la déesse Raison, d’avoir des égards – et même du respect – pour les Croyants : « Les peuples avec lesquels nous allons vivre sont mahométans ; leur premier article est celui-ci : Il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu et Mahomet est son prophète. Ne les contredisez pas ; agissez avec eux comme nous avons agi avec les Juifs, avec les Italiens ; ayez des égards pour leurs muphtis et leurs imans, comme vous en avez eu pour les rabbins et les évêques ; ayez pour les cérémonies que prescrit l’alcoran, pour les mosquées, la même tolérance que vous avez eue pour les couvents, les synagogues, pour la religion de Moïse et celle de Jésus-Christ... »
Il y a deux ans, il montrait à ses soldats en guenilles les riches plaines d’Italie où ils allaient pouvoir se livrer au pillage. Aujourd’hui, il l’interdit :
« Le pillage n’enrichit qu’un petit nombre d’hommes, il nous déshonore, il détruit nos ressources, il nous rend ennemis des peuples qu’il est de notre intérêt d’avoir pour amis. La première ville que nous allons rencontrer a été bâtie par Alexandre : nous trouverons à chaque pas de grands souvenirs, dignes d’exciter l’émulation des Français. »
La nouvelle de la prise de Malte a créé fermentation et inquiétude à Alexandrie. Aussi les Mameluks ou, pour être plus précis, les deux principaux beys
— Mourad, chef de l’armée, et Ibrahim, chef de l’administration – ont-ils fait trompetter le branle-bas de combat à travers la province de Bahyreh.
Le débarquement se présente mal. Le vent est grand, frais, et la mer extrêmement houleuse. L’amiral Brueys veut attendre douze heures. Et si Nelson revenait ?
— Amiral, s’exclame Bonaparte, impatienté, nous n’avons pas de temps à perdre, la fortune ne me donne que trois jours, si je n’en profite pas, nous sommes perdus !
Les divisions commandées par Berthier, Menou et Bon commencent à débarquer. Les hommes doivent « se laisser glisser le long du vaisseau avec une corde et y rester suspendus jusqu’à ce que la vague remontât la chaloupe qu’elle venait de faire descendre ». Une nuit entière est nécessaire pour atteindre le rivage, nombreuses sont les embarcations qui chavirent sur les récifs. Le mal de mer se met de la partie et les noyades sont assurément plus nombreuses que ne l’affirmera Bonaparte.
À son tour, à une heure du matin, le 2 juillet
— 14 messidor, an VI – Napoléon prend pied sur la terre
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