Bonaparte
d’ulcères. La journée qui va se passer ressemblera à celle de la veille. »
En se penchant sur la liste des « articles » que le général en chef demande au Directoire de lui faire parvenir de France, on se rend compte des besoins de l’armée. Les « envahisseurs » réclament aussi bien du savon, de l’huile, des draps, du vin, des « graines de toutes espèces de légumes », que des chirurgiens, des médecins, des pharmaciens, des liquoristes, des distillateurs, et même – exigence des plus inattendues – des danseuses et des montreurs de marionnettes...
En attendant la « livraison », lors de l’inauguration de l’Institut d’Égypte, le général en chef bombarde les savants de questions :
— Peut-on apporter quelque amélioration aux fours employés par l’armée ? Et comment ?
— Peut-on fabriquer de la bière sans houblon ? (qui ne pousse pas en Égypte).
— Quels sont les moyens usités pour purifier l’eau du Nil ?
— Quel est, au Caire, le plus convenable à construire, du moulin à eau, ou du moulin à vent ?
— Y a-t-il en Égypte des ressources pour la fabrication de la poudre ?
Bref on manque de tout et cette situation ne met point les coeurs à l’aise. « Je dirai parce que cela est, écrira Bourrienne, et que beaucoup de témoins l’affirmeraient, que, dès que l’armée eut mis le pied sur la terre d’Égypte, le dégoût, l’inquiétude, le mécontentement, la nostalgie, s’emparèrent de presque tout le monde. L’illusion de l’expédition avait disparu dès le commencement. Il ne restait plus que la réalité : elle était triste. Que de plaintes amères n’ai-je pas entendu exhaler à Murat, à Lannes, à Berthier, à Bessières et à tant d’autres ! »
Dégoût du pays, lassitude et désir de rentrer chez soi : tel est alors l’état d’esprit des troupes, celui des officiers et même des généraux. Lors d’un dîner chez le général Duguas, Bonaparte interpelle Murat :
— Comment vous trouvez-vous en Égypte ?
— À merveille, répond le sabreur qui tremble devant son chef.
— Tant mieux ! Je sais que plusieurs d’entre vous prêchent la révolte : qu’ils prennent garde ! La distance d’un général et d’un tambour à moi est la même. Et si le cas se présentait, je ferais fusiller l’un comme l’autre. Quant à vous, Murat, si vous bronchez, je vous ferai mettre du plomb dans la tête.
Il est plus facile d’ordonner que de se résigner ! Bonaparte ne veut pas s’attarder à regarder en arrière et s’organise. Il est bien logé. La maison de Mohamed – Bey-el-Elfi, place Ezbekieh où il s’est installé – le palais de Mourad-Bey ayant été incendié – est moderne et même somptueusement aménagée : escalier de marbre, fontaines, mosaïques. Pour oublier l’infidèle Joséphine, il se fait livrer un lot de femmes d’Asie. Leur obésité, leurs « abats canailles », selon son expression, et surtout l’odeur qui émane d’elles, les lui fait renvoyer sans les avoir consommées. Il fait une exception : la fille du cheik El-Bekri, âgée de seize ans. Ses brèves amours avec Bonaparte lui valurent d’être arrêtée après le départ des Français. « Interrogée sur sa conduite, nous rapporte un témoin, elle répondit qu’elle s’en était repentie. On demanda ensuite l’avis du père ; il répondit qu’il désavouait sa fille. On coupa alors le cou à la malheureuse. »
Vers le 1 er décembre, le général en chef est intéressé par la toute jeune et toute blonde Pauline Fourès, épouse d’un lieutenant d’infanterie qu’elle a suivi en Égypte sous un déguisement masculin. Afin d’éloigner le mari, on l’expédie sur l’aviso le Chasseur « pour aborder à un port quelconque du continent ». Débarrassé de l’époux, Bonaparte, au cours d’un dîner s’affiche avec Pauline. Puis il renverse sur la robe de la jeune femme une carafe d’eau : ce qui lui permet d’aller réparer le dommage dans ses appartements... Lorsqu’un peu plus tard – le 29 décembre – le vaisseau britannique Lion intercepte le Chasseur, les Anglais, tout en riant sous cape, s’empressent de déposer le mari berné sur les côtes égyptiennes en lui souhaitant « bonne chance ». Il revient au Caire, c’est pour apprendre que le général en chef vit avec sa femme, que les soldats appellent la Cléopâtre de Bonaparte, et les officiers : Bellilotte, de son nom de jeune fille – Bellisle.
Bonaparte parviendra à
Weitere Kostenlose Bücher