Bonaparte
peu à peu. »
Bonaparte émut la population en présidant la fête du Nil le 18 août. Ce jour-là, – le nilomètre de l’île de Roudah indiquait que le fleuve avait atteint le niveau de vingt-cinq pieds – on devait rompre solennellement la digue qui se trouvait à la naissance du canal du Caire et qui livrait passage aux eaux du fleuve. Accompagné de tous les généraux et de l’état-major de l’armée, du Kiaya du Pacha, de l’aga des janissaires, Bonaparte se rend à six heures du matin au Mekias. Un peuple immense couronne tous les monticules bordant le Nil et le canal.
Le canon tonne, une statue représentant la fiancée du Nil est jetée dans les eaux. C’est le signal du bain rituel. On trempe même dans le fleuve les futurs linceuls. Et les poètes arabes psalmodient :
O Républicain génial
À la mèche légendaire,
Tu as apporté à l’Égypte la lumière
Brillante comme une lampe de cristal,
Y a Sallam {18} !
« Toute la flottille pavoisait, racontera le « reporter » du Courrier d’Égypte, et une partie de la garnison sous les armes formait un coup d’-oeil aussi grand, aussi imposant qu’agréable ; l’arrivée du cortège au Mekias fut marquée par plusieurs salves, la musique française et arabe jouait plusieurs airs pendant le temps qu’on travaillait à la coupée de la digue. Un instant après, le Nil franchit la digue et entra comme un torrent dans le canal. »
Surnommé par le peuple le sultan El Kébir – le Grand Sultan – ou plus familièrement Ahounaparte, il croit devoir revêtir un turban et une robe orientale, mais devant l’éclat de rire de l’état-major, il ne porte son déguisement qu’un seul jour. Il se contente donc de respecter l’Islam et préside la fête de Mahomet. Durant trois jours, le tintamarre est assourdissant. On compose, dira encore le commandant Detroye, « des airs baroques, accompagnés par une musique plus baroque encore, chantant, criant, faisant un tapage infernal ».
La bonne volonté de Bonaparte, ce désir touchant de se plier aux coutumes islamiques et de se métamorphoser en sultan El Kébir devrait – du moins le général en chef le pense-t-il – lui concilier les bonnes grâces de ses administrés et leur faire oublier qu’ils ont été « conquis » les armes à la main.
Bonaparte se trompe.
À côté de ces tentatives louables de collaboration, les Égyptiens voient avec fureur certaines mosquées transformées en cafés. Le grand reproche qu’ils adressent aux Français est celui d’être des Infidèles. Les massacrer est donc mie oeuvre pie qu’Allah doit approuver et qui relève de la guerre sainte. Depuis le début du mois d’octobre, les muezzins, nous raconte Bourrienne, « substituaient aux chants religieux des appels à la révolte, et cette espèce de télégraphe verbal transmettait la provocation aux extrémités nord et sud de cette vaste contrée. Par ce moyen, et par celui des émissaires secrets qui échappaient à notre faible police, et qui répandaient des firmans vrais ou fabriqués du grand-seigneur, démentant le prétendu accord entre la France et la Porte Ottomane, et excitant à la guerre, on organisa peu à peu, dans tout le pays, le plan d’une insurrection générale. »
L’ultime signal de la rébellion est donné dans la nuit du 20 au 21 octobre. « Un beau jour, rapportera un témoin – Nicolas-le-Turc – un quelconque cheik d’El Azhar se met à parcourir les rues en criant que tous ceux qui croient à l’unité de Dieu se rendent à la mosquée d’El Azhar. C’est aujourd’hui le jour de combattre les Infidèles. »
À cinq heures du matin, on vient réveiller Bonaparte pour lui annoncer que le général Dupuy, commandant la place, a été tué d’un coup de lance. Le général en chef saute à cheval, et les ordres fusent : « Ordre au général Bon d’envoyer une partie de sa division bivouaquer sur la place du château et une autre à la place Ezbekieh... » – « Ordre au commandement de la 22 e à El Qobbeh, de venir occuper les hauteurs entre Le Caire et El Qobbeh. Le mouvement qui a lieu de matin nécessite le rapprochement des troupes... » – « Ordre au général Dumas de monter à cheval au jour et de faire une patrouille... » – « Ordre au général Bon de faire jeter à terre pendant la nuit, la grande mosquée, en brisant quelques colonnes... »
Il envoie également Sulkowsky, l’aide de camp qu’il apprécie particulièrement, porter un message
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