Bonaparte
au général Dumas. Dans la banlieue du Caire, le cheval de l’officier glisse, Sulkowsky tombe, il est massacré et son corps jeté aux chiens. Le canon se met de la partie et pilonne les quartiers où règne l’émeute, particulièrement celui qui entoure la mosquée El Azhar. Puis cavaliers et fantassins « nettoyent » le terrain et la rébellion est enfin matée.
Le général Bon n’a pas jeté à bas la grande mosquée et s’est contenté d’exécuter des représailles – du moins s’il faut en croire El Djabarti qui écrira : « Ils entrèrent dans la mosquée d’EI Azhar avec leurs chevaux qu’ils attachèrent au kiblah – la colonne montrant la direction de La Mecque. Ils brisèrent les lampes, les veilleuses et les pupitres des étudiants ; ils pillèrent tout ce qu’ils trouvèrent dans les armoires, ils jetèrent sur le sol les livres et le Coran et marchèrent dessus avec leurs bottes. Ils urinèrent et crachèrent dans cette mosquée ; ils y burent du vin, y cassèrent des bouteilles qu’ils jetèrent dans tous les coins. Ils déshabillèrent toutes les personnes qu’ils y trouvèrent pour s’emparer de leurs vêtements. »
Trois cents morts français, deux mille cinq cents à trois mille rebelles tués, tel est le bilan.
— Je sais que beaucoup d’entre vous ont été faibles, dira Bonaparte aux cheiks et imans venus implorer sa clémence, mais j’aime à croire qu’aucun n ? est criminel.
Cela ne l’empêche pas, le matin du 23 octobre, d’adresser cet ordre au général Berthier : « Vous voudrez bien, Citoyen général, donner l’ordre au commandant de la place de faire couper le cou à tous les prisonniers qui ont été pris les armes à la main. Ils seront conduits cette nuit au bord du Nil, entre Boulâ et le Vieux-Caire, leurs cadavres sans têtes seront jetés dans la rivière. » Six jours plus tard, il écrira encore au général Reynier : « Toutes les nuits nous faisons couper une trentaine de têtes et de beaucoup de chefs ; cela leur servira, je crois, de bonne leçon. »
Le calme revenu, Bonaparte, hanté par le canal qui unissait autrefois la mer Rouge à la Méditerranée – et également désireux de se concilier les Arabes de Thor, du Hedjaz et du Yemen –, décide de se rendre à Suez que le général Bon a occupé le 7 décembre. Suez est au surplus le seul port que les Anglais ont dédaigné de bloquer. Il n’emporte comme vivres que trois poulets rôtis enveloppés dans du papier... Pour arriver aux sources de Moïse, Abounaparte emprunte le gué praticable à marée basse, où passèrent autrefois les Hébreux. Mais, au retour, la mer ayant monté, le général en chef et son escorte manquent d’être noyés comme le pharaon de la Bible. Il s’en faut également de peu que le général Caffarelli – il avait une jambe de bois – ne disparaisse sous les yeux de ses camarades. « Je l’avais confié à deux guides, excellents nageurs, racontera Napoléon, la nuit était obscure, la marée montait, nous avions pris la lumière de la canonnière des savants pour la terre, nous étions perdus si nous ne retrouvions le rivage. J’entendis, à quatre-vingts toises en arrière, les cris de Caffarelli. Je crus qu’on l’avait abandonné, j’y courus, il ne voulait plus suivre ses guides, il leur disait de le laisser mourir, qu’il était inutile de faire périr d’aussi braves gens qu’eux. Je lui donnai, de colère, un bon coup de cravache dans la figure. Sans moi, il était perdu. »
Bonaparte, sur le point d’être à son tour submergé, ne doit son salut qu’à un guide de son escorte qui l’emporte sur ses épaules...
Le 30 décembre, il découvre les vestiges du canal des Pharaons. Par deux fois – il reviendra là le 3 janvier –, il suit au galop les traces du canal. Ses compagnons l’entendent s’exclamer :
— La chose est grande, mais ce n’est pas moi qui maintenant pourrais l’accomplir.
C’est en lisant cette phrase qu’un jour, au début du Second Empire, Ferdinand de Lesseps se mettra à rêver – et de ce rêve naîtra le canal de Suez...
Déjà, depuis quelques mois, les Égyptiens voyaient des uniformes français s’enfoncer toujours plus au sud du pays. Au mois d’août, Desaix avait, en effet, reçu l’ordre de partir avec deux mille huit cent soixante et un hommes et deux canons à la poursuite de Mourad-Bey et de ses trois à quatre mille Mameluks – une poursuite qui l’entraînera, tout en livrant
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