Bonaparte
très encombrée, il aide à soulever le cadavre hideux d’un soldat dont les habits en lambeaux étaient souillés par l’ouverture d’un bubon abcédé. » Et Desgenettes, qui nous rapporte ce fait, s’y connaissait en héroïsme ! Médecin-chef de l’armée, il est assurément le héros du corps médical qui accompagne Bonaparte. Il brave tous les dangers, et sa réputation de courage sera si grande que, fait prisonnier lors de la campagne de Russie, le Tsar le libérera, au seul énoncé de son nom.
Le 14 mars, Bonaparte quitte sa chambre de Jaffa – on visite, bien entendu, toujours le bâtiment qu’il occupait – et l’armée met le cap sur Saint-Jean-d’Acre. L’itinéraire passe d’abord par Tel Naskin – un jour Tel Napoléon – et suit un chemin transformé en autoroute, un siècle et demi plus tard... puis l’armée infléchit sa marche vers l’ouest. Le lendemain, on livre un combat à Kakoum – la pittoresque Yikkon – et le soir, Napoléon campe près de la tour de Zeithat où passera, lors de la création d’Israël, la frontière de la Jordanie. On remet le lendemain le cap au nord et, le 18, Bonaparte, après avoir occupé Haïfa – abandonné par le pacha El Djezzar-le-Boucher – installe son quartier général à Tel Chiqmona dans un village de pêcheur, au milieu des marécages et des dunes. Sans doute fera-t-il l’ascension du Mont-Carmel qui domine la région {21} . Non loin de son bivouac, près de Bat Gallim, se trouve la grotte du prophète Elie où un autre conquérant offrit, un jour, un sacrifice aux dieux. C’était Vespasien qui, en l’an 67, effectuait, pour le compte de Rome, la reconquête de la Galilée...
De ce bivouac, Napoléon peut également monter jusqu’en haut du promontoire où il embrasse toute la baie d’Haïfa, fermée à l’est par les collines et, au nord, par Saint-Jean-d’Acre, ceinturée de ses remparts, une ville couleur de miel qui semble surgie de la mer. C’est de la crête qu’il aperçoit deux vaisseaux anglais – le Tigre et le Zealous – dominant de leurs masses des canonnières britanniques et turques. Bonaparte pousse un cri : il a donné l’ordre au commandant Standelet d’amener à Saint-Jean-d’Acre une flottille, rescapée d’Aboukir, et transportant vingt-quatre pièces d’artillerie de siège. Mais il est déjà trop tard pour prévenir Standelet qui, sans se douter du danger, s’apprête à doubler le cap Carmel. Comble de malchance, une brume soudaine s’abat sur la baie et la flottille française continue d’avancer, insconsciente, ne voyant toujours pas l’ennemi qui l’attend tapi dans le léger brouillard. Et c’est le combat... Un combat malheureux : six navires sont pris, trois seulement parviennent à s’échapper !
Le 19 mars, le Belus franchi – le fleuve a été rebaptisé le Qishon – l’armée arrive enfin devant Saint-Jean-d’Acre – la moderne Akko. Qui commande ce misérable « petit tas de pierres » ? El Djezzar, sir Sidney Smith et, surtout un émigré français : Phélipeaux, l’ancien camarade de jeunesse de Bonaparte à l’Ecole militaire de Paris... Phélipeaux que le petit Corse ne pouvait pas souffrir autrefois et à qui, pendant les cours, il donnait de furieux coups de pied sous la table ! À la tête des excellentes troupes turques de Djezzar Pacha et ravitaillé par la flotte anglaise – huit cents marins ont été débarqués – c’est Phélipeaux qui va tenir en échec son ancien condisciple.
Tandis que l’armée cantonne sur les mamelons situés hors de portée des canons de Phélipeaux, Bonaparte installe son artillerie sur la Butte aux Poteries, Tel Harassim – aujourd’hui la colline Napoléon. Saint Louis et Richard Coeur-de-Lion y avaient campé avant lui ! De cette éminence on peut voir l’intérieur de la ville assiégée, ces vieux quartiers arabes dont la physionomie n’a guère changé et qui se trouvent toujours dominés par la mosquée de Jazzar où, dans un coffret damasquiné, on conserve précieusement quelques poils de la barbe de Mahomet... La ville que Bonaparte a devant lui est construite sur une langue de terre qui s’avance dans la mer et se trouve ceinte de remparts crénelés, flanqués de tours, et truffés de canons. Ces fortifications ont été construites à l’aide de matériaux provenant des anciennes et puissantes murailles en ruines depuis des siècles, et élevées là autrefois par les Croisés. Du côté de la mer qui
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