Bonaparte
mérite.
— Ce sont des détails où je n’entre pas, conclut l’expéditif Boulay de la Meurthe, s’il est mis hors la loi par nous, qu’il soit, après, guillotiné, fusillé ou pendu, c’est un mode d’exécution : peu m’importe.
On leur fait entendre raison et, tout en grimaçant, les « cinq rois », craignant les réactions de la foule si on ternissait l’image de leur dieu, choisissent de recevoir le « glorieux général » en séance publique. Le 17 octobre, par un jour brumeux, Bonaparte y apparaît revêtu d’un habit assez singulier : mi-militaire, mi-civil. Son costume reflète, en outre, quelque chose d’oriental. Le côté « civil » tient en son chapeau, tube en feutre – ce que l’on appelait alors le « chapeau rond » – la tenue militaire est représentée par la redingote de teinte verdâtre, avec la pointe d’orientalisme donnée par un cimeterre turc pendant à la ceinture par une cordelette de soie.
— Ils m’ont offert le choix de l’armée que je voudrais commander, raconte-t-il à Bourrienne à son retour, je n’ai pas voulu refuser, mais je leur ai demandé quelque temps pour rétablir ma santé.
Se battre pour ces « gens-là » ? Pour sauver leur « trône » ?
— À quoi cela servirait-il ? expliqua-t-il à Marmont. Après avoir exécuté des prodiges, nous ne pourrions compter sur aucun appui. Quand la maison croule, est-ce le moment de s’occuper des terrains qui l’environnent ? Un changement ici est indispensable.
Indispensable en effet. N’est-ce pas la nouvelle de la France envahie, des conquêtes perdues, qui lui ont fait quitter Le Caire ?
— Pour éviter d’autres offres embarrassantes, ajoute-t-il, je me suis retiré. Je ne retournerai plus à leurs séances.
Il a mieux à faire ! Dans quel état n’avait-il pas retrouvé le pays ! Le margouillis national – l’expression est du temps – se trouve partout. La France n’est plus que dégoût et plaintes, les villes – telle Lyon – ruines et décombres. Comme un corps frappé de pourriture, ses membres gangrenés sont prêts à tomber. La république semble inerte. Le vice est à la mode et s’est installé complaisamment. Un rapport de police le note : « La dépravation des moeurs est extrême et la génération nouvelle est dans un grand désordre dont les suites malheureuses sont incalculables pour la génération future. L’amour sodomiste et l’amour saphique sont aussi effrontés que la prostitution et font des progrès déplorables. »
À Paris, les enrichis – agioteurs, fournisseurs, spéculateurs – déguisés plutôt qu’habillés, ayant à leurs bras leurs compagnes en robes transparentes ou aux allures garçonnières, éclaboussent de leur luxe ceux qui ne peuvent manger que de temps en temps. La province singe la capitale, « Hélas, écrit l’évêque constitutionnel Le Coz, que notre société se déprave ! La fornication, l’adultère, l’inceste, le poison, le meurtre, tels sont les fruits affreux du philosophisme, même dans nos campagnes. Des juges de paix m’assurent que si on n’arrête ce torrent d’immoralité, beaucoup de communes ne seront bientôt plus habitables. » Seuls les brigands, bandits de grands chemins, détrousseurs masqués de diligence, dévaliseurs de courriers, chauffeurs, fraudeurs, maraudeurs, voire criminels, sont merveilleusement organisés, pour rançonner, voler et tuer. La rapine s’est installée en souveraine incontestée. Le brigandage règne comme chez lui. Se rendre de Nice à Marseille sans se faire dévaliser est un exploit. Les bagages de Bonaparte, eux-mêmes, n’ont pas été respectés lors de sa traversée de la Provence. Bien entendu, piller les deniers publics est considéré par certains comme oeuvre pie. L’administration, totalement dépassée, laisse faire et essaye d’attraper les miettes du gâteau. « Les autorités actuelles et surtout l’administration centrale, dira le général Moncey, sont devenues, à force de malversations, une calamité publique. Tout est entravé par l’action administrative, tout y est refroidi par ses insinuations, même par sa seule présence. » Plus de routes, plus de canaux, plus de digues ! En dix années, la France semble revenue à l’état sauvage.
Les impôts sont fort mal payés – ou bien on les acquitte en papier n’ayant plus qu’une valeur symbolique. Et pourquoi les payerait-on ? Pour engraisser les gouvernants ?
On le verra, un député – un
Weitere Kostenlose Bücher