Bonaparte
le premier du nouveau régime :
— Frédéric II et Dugommier, répondra-t-il.
« On fait dire à Bonaparte un mot neuf et hardi en révolution, annonce de son côté le Diplomate, le voici : « Les places seront ouvertes à tous les Français de toutes les opinions, pourvu qu’ils aient des lumières, de la capacité et des vertus. » Si ce mot est vrai et si celui qui l’a dit tient parole, nous sommes en effet à la fin de la Révolution. »
Le Consulat provisoire est achevé, et Bonaparte prononce les dernières paroles de cette brève magistrature :
— Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée ; elle est finie.
Il inaugure son « règne » en adressant, dès le 25 décembre, une lettre au roi d’Angleterre et une autre à S.M. l’Empereur, roi de Hongrie et de Bohême, pour leur annoncer que « la Nation française » l’a appelé « à occuper la première magistrature ». « La guerre qui depuis huit ans ravage les quatre parties du monde, écrit-il au souverain britannique, doit-elle être éternelle ? N’est-il donc aucun moyen de s’entendre ? » À celui qui sera un jour son beau-père, il affirme : « Étranger à tout sentiment de vaine gloire, le premier de mes voeux est d’arrêter l’effusion de sang qui va couler... Le caractère connu de Votre Majesté ne me laisse aucun doute sur le voeu de son coeur... »
Bien des royalistes voient l’avenir avec découragement. Le coup d’État, sa politique de pacification à l’extérieur et à l’intérieur – ils le sentent obscurément – va leur enlever leurs dernières chances. L’un d’eux l’avoue alors de façon assez naïve :
— Bonheur peut-être pour la France, mais pas pour nous !
La France n’aura plus besoin de roi, puisque Bonaparte va lui apporter le repos.
Louis XVIII, maintenant exilé à Mitau, essaye de se consoler en lisant le portrait de celui qui, selon lui, occupe sa place et que lui a envoyé l’un de ses agents du Comité de Paris : « Il est difficile de dire ce qu’est Bonaparte ; je n’ai jamais trouvé personne qui eût des idées sur cet homme extraordinaire en beaucoup de choses. Il sait commander et se faire obéir : c’est un grand point. Il n’a pas trouvé le secret de se faire aimer ; il ne sait pas gouverner, c’est un grand tort... Dans le Conseil, il dispute sur tout et contre tout le monde : à ses audiences, il est gauche et embarrassé et n’a pas trouvé jusqu’à présent un seul mot que ses flatteurs pussent citer, il est chétif et ne plaît point au peuple. Il est arrogant, il est audacieux, tranchant et il fait trembler ses courtisans. »
— Il est trop grand pour écouter qui que ce soit, explique un autre agent moins désireux de faire plaisir à l’exilé.
D’autres, assurément plus réalistes, se raccrochent à un espoir : Bonaparte ne pourrait-il pas jouer les Monk et offrir sa place à Louis XVIII ?
Dès le 26 décembre, Bonaparte accepte de recevoir Hyde de Neuville, le chef de l’agence royaliste de Paris – un homme à l’oeil vif, mine futée, cheveux poudrés, vingt-cinq ans – et qui a reçu plein pouvoir pour traiter avec le Premier consul non de la part de Louis XVIII ou du comte d’Artois, mais des chefs insurgés de l’Ouest. Talleyrand est allé prendre le conspirateur à un endroit convenu de la place Vendôme. Dans la voiture Hyde écoute d’une oreille distraite l’ex-prélat déjà prêt à trahir son maître, et qui demande à son compagnon de faire savoir au comte d’Artois qu’il lui est « tout dévoué » :
— Il n’y a pas d’homme plus aimable et plus digne d’être aimé...
Hyde ne retient qu’une phrase du ministre :
— Si Bonaparte passe une année, il ira loin.
Le petit salon dans lequel on introduit le royaliste est glacial. Le chauffage se ressent de la pauvreté du nouveau gouvernement ! Soudain, un homme petit, maigre, les cheveux collés aux tempes, la démarche hésitante, traverse la pièce, s’adosse à la cheminée et relève la tête.
C’est le Premier consul.
« Il me regarda avec une telle expression, racontera Hyde, une telle pénétration, que j’en perdis toute contenance. »
Ce jour-là, on ne va guère plus avant : rendez-vous est pris pour le lendemain. Bonaparte accepte de recevoir le général d’Andigné, commandant les troupes royalistes de l’Anjou. Peut-être, Hyde l’espérait – et se trompait lourdement – peut-être, si les deux chouans
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