Bonaparte
Roederer, Louis Bonaparte, Madame Louis et mon collègue Portalis. Bonaparte n’est guère plus d’un quart d’heure quand il dîne avec peu de monde. Il n’est pas une demi-heure à la plus grande table. On ne sert qu’un seul service qui comprend : les entrées, le rôt, l’entremets ; vient ensuite le dessert. »
Quelque temps après sa nomination au Consulat, on lui représenta que ses dîners étaient trop brefs ; il les allongera de quelques minutes.
— Général, lui dit Roederer, vous êtes devenu moins expéditif à table.
Il répondit :
— C’est déjà la corruption du pouvoir.
La Constitution doit être soumise à un plébiscite, mais, ainsi que le dira Louis Madelin, « par une manière de second petit coup d’État », Bonaparte fait décréter, par les commissions législatives, que la Constitution entrera en vigueur dès le 4 nivôse – c’est-à-dire le 25 décembre, jour de Noël, une fête que l’on ne célébrait plus d’ailleurs...
Roederer vient lui porter le projet de proclamation destiné à être lu aux carrefours avec le texte de la Constitution.
— J’ai deux choses à remarquer, lui déclare le Consul ; la première, c’est que vous me faites promettre, et je ne veux rien promettre, parce que je ne suis pas sûr de tenir. La deuxième, c’est que vous me faites promettre pour une époque très prochaine ; et il y a beaucoup de choses pour lesquelles mes dix années suffiront à peine. Il faut dire simplement : je dois faire telle chose, mon devoir est de le faire, etc., et terminer par dire que le droit de tous les Français est d’observer si je consacre mes efforts de dix ans à remplir mes devoirs.
Nombreux furent ceux qui considérèrent la nouvelle Constitution comme transitoire. Tous sont persuadés que Bonaparte ne s’en tiendra pas là ! On prétendait qu’une municipalité de province avait ingénument écrit aux « Citoyens Consuls » : « Nous nous empressons de vous accuser réception de la nouvelle constitution de l’an VIII. Nous vous promettons la même exactitude pour toutes celles qu’il vous plaira de nous envoyer à l’avenir. » Une autre histoire était colportée : on affirmait avoir entendu à un carrefour, lors de la lecture de la Constitution, une femme dire à son voisin :
— Je n’ai rien entendu !
— Moi, je n’ai pas perdu un mot.
— Eh bien, qu’y a-t-il dans la Constitution ?
— Il y a Bonaparte !
Ses projets de Premier consul, il les donne à Roederer :
— Voici le but où je dois atteindre pendant ma magistrature : consolider la République ; la rendre redoutable à ses ennemis. Pour consolider la République, il faut que les lois soient fondées sur la modération, l’ordre et la justice. La modération est la base de la morale et la première vertu de l’homme. Sans elle, l’homme n’est qu’une bête féroce. Sans elle, il peut bien exister une faction, mais jamais un gouvernement national.
Il commence sa politique de pacification. Un de ses premiers actes a été de signer l’abolition de la Loi des Otages – votée par le Directoire trois mois auparavant. Il tient à aller lui-même au Temple afin de rendre la liberté aux prisonniers.
— Une loi injuste vous a privés de la liberté, leur déclare-t-il ; mon premier geste est de vous la rendre.
Au nouveau Tribunat, deux semaines après leur première séance, Duveyrier s’est permis de s’exclamer :
— Dans ces lieux, si l’on osait parler d’une idole de quinze jours, nous rappellerions qu’on vit abattre une idole de quinze siècles...
Bonaparte croit se reconnaître dans « le tyran de quinze jours », et, au cours de la soirée, au Petit Luxembourg, on l’entend répéter :
— Avec cinquante de mes grenadiers, je ferai f... le Tribunat à la rivière.
— Je ne vous dis pas le contraire, général, ose remarquer quelqu’un, mais ce ne sera pas votre plus bel exploit.
Le même soir, il s’exclame aussi-:
— C’est comme on croit que je vais me laisser gouverner par des p... Non, je ne me laisserai pas gouverner par des p... !
Allusion à Mme Tallien qu’il a interdit à Joséphine de revoir – pas plus d’ailleurs que ses folles amies du Directoire.
Au vrai, il veut qu’on le sache et que tous s’imprègnent bien de cette idée : le voici, presque en ce dernier jour du XVIII e siècle, le maître – et le seul maître – de la France. L’officier de service lui demandera, la veille de Noël, le mot d’ordre –
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