Bonaparte
échafaudant des plans qui tendent tous à exterminer Bonaparte. Leur audace est extrême : le matin du 21 janvier 1800, septième anniversaire de la mort de Louis XVI, on s’aperçoit que le portique de l’église de la Madeleine a été tendu pendant la nuit d’une immense draperie de deuil. Au centre, entre les colonnes, a été placée une croix blanche sur fond noir, entourée par les emblèmes de la royauté et ornée de fleurs de lys. On y lit cette inscription : « Victimes de la Révolution, venez avec les frères de Louis XVI déposer ici vos vengeances. » Au-dessous, a été mis en évidence le testament du roi-martyr.
L’église de Saint-Jacques-la-Boucherie a été décorée dans le même style, mais, lorsque la police arrive pour enlever les draperies, elle se heurte aux bouchers du quartier et une bagarre s’ensuit. Bonaparte apprend par un rapport de police daté du même jour que, dans les quartiers à la mode, de nombreuses élégantes arborent des toilettes de grand deuil et des plumes noires à leur chapeau.
Au même moment, Louis XVIII écrivait au Premier consul une lettre qu’il pensait lui faire passer par Berthier : « Vous ne pouvez penser, général, que j’aie appris avec indifférence les graves événements qui viennent de se passer. Mais vous ne pouvez être en doute sur le sentiment qu’ils ont excité en moi ; c’est celui d’un juste et ferme espoir. Dès longtemps, mes yeux sont fixés sur vous ; dès longtemps je me suis dit que le vainqueur de Lodi, de Castiglione, d’Arcole, le conquérant de l’Italie, de l’Égypte, sera le sauveur de la France ; amant passionné de la gloire, il la voudra pure ; il voudra que nos derniers neveux bénissent ses triomphes. Mais, tant que je vous ai vu n’être que le plus grand des généraux, tant que la fantaisie d’un avocat a suffi pour changer vos lauriers en cyprès, j’ai dû refermer mes sentiments en moi-même. Aujourd’hui que vous réunissez le pouvoir aux talents, il est temps que je m’explique, il est temps que je vous montre les espérances que j’ai fondées sur vous... Si je m’adressais à tout autre qu’à Bonaparte, j’offrirais, je spécifierais des récompenses. Un grand homme doit lui-même fixer son sort, celui de ses amis ; dites oe que vous désirez pour vous, pour eux, et l’instant de ma restauration sera celui où vos voeux seront accomplis. »
En remettant la lettre à son favori, le duc d’Avaray, « M. le comte de Lille » avait ajouté en soupirant :
— C’est un billet bien cher, joué à une loterie de fort peu d’espérances.
Ces tentatives de rapprochement n’empêcheront nullement le Prétendant d’écrire un peu plus tard à Cadoudal :
« J’ai appris avec la plus vive satisfaction que vous êtes enfin échappé des mains du tyran qui vous a méconnu au point de vous proposer de le servir... »
Mais d’Avaray ne parvient point à faire passer la lettre – et Louis XVIII récidivera plus tard. Bonaparte lui répondra alors : « J’ai reçu, Monsieur, votre lettre ; je vous remercie des choses honnêtes que vous m’y dites. Vous ne devez plus souhaiter votre retour en France ; il vous faudrait marcher sur cent mille cadavres... Sacrifiez votre intérêt au repos et au bonheur de la France ; l’histoire vous en tiendra compte. Je ne suis pas insensible aux malheurs de votre famille !... Je contribuerai avec plaisir à la douceur et à la tranquillité de votre retraite. »
— Une belle chose à mettre dans le Journal de Paris, ce serait une lettre que m’a écrite Louis XVIII, et ma réponse, dira-t-il à Roederer. La lettre est fort belle, vraiment fort belle ! mais j’ai ma réponse en conséquence, et elle est bien aussi.
— Général, cela me fait frissonner.
— Vous avez tort. Livrer la France à Louis XVIII serait l’action d’un traître...
Quelque temps auparavant, lors de sa conversation avec Bourmont, il avait dévoilé ses sentiments :
— Loin de lui nuire, je respecterai ses malheurs et lui rendrai tous les services que je pourrai – bien entendu excepté sa couronne ; elle est perdue pour sa maison ; l’histoire offre d’autres exemples d’un changement de dynastie. Je gouverne, je conserverai la puissance jusqu’à ma dernière heure.
Voilà pour le principe : il a conquis une manière de trône et tient à le garder :
— Les Français ne peuvent être gouvernés que par moi. Je suis dans la persuasion que personne autre que moi,
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