Bonaparte
afin d’obliger Moreau à ne pas attendre davantage pour reporter vers la Suisse les troupes qu’il s’est engagé à détacher de son armée. N’a-t-il pas vaincu et suivi son plan avec succès ? Qu’il pense maintenant à l’aile droite des forces françaises ! Aussi Bonaparte lui précise-t-il : « Si la diversion que le Gouvernement a ordonnée pour le Saint-Gothard ne se fait pas avec toute la diligence et le zèle qu’exigent les circonstances, il pourra arriver que douze à quatorze mille hommes que nous avons dans Gênes soient faits prisonniers avec le quartier général, et que l’armée de réserve soit battue... Vous voyez, ajoute-t-il, les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons. Le succès de la campagne peut dépendre de la promptitude avec laquelle vous opérerez la diversion demandée. Si elle s’exécute d’un mouvement prompt, décidé, et que vous l’ayez à coeur, l’Italie et la paix sont à nous. »
Il achève par une « caresse » calculée : « Je vous en dis déjà peut-être trop. Votre zèle pour la prospérité de la République et votre amitié pour moi vous en disent assez. »
Encore à Lausanne, il apprend le retour d’Égypte de son « cher Desaix » et lui écrit aussitôt : « Enfin vous voilà arrivé ; une bonne nouvelle pour toute la République, mais plus spécialement pour moi, qui vous ai voué toute l’estime due aux hommes de votre talent, avec une amitié que mon coeur, aujourd’hui bien vieux et connaissant trop profondément les hommes, n’a pour personne... Venez le plus vite que vous pourrez, me rejoindre où je serai... »
Et Desaix va prendre, lui aussi, le chemin de Marengo.
À Paris, au fur et à mesure que s’écoulent les jours, la crainte s’appesantit sur la ville. L’absence de Bonaparte suscite une véritable angoisse. Sans doute n’est-on point dupe et sait-on qu’il est parti pour se porter « à grands pas au secours de l’armée d’Italie ». Mais arrivera-t-il à temps pour tendre la main à Masséna ? Et s’il n’y parvenait point ? S’il était battu ? Dans quel chaos ne retomberait-on pas ? Les Royalistes reprennent espoir, se réjouissent et recommencent à comploter ferme. Des combinaisons s’échafaudent déjà. Anciens thermidoriens et brumairiens mécontents – tel Sieyès – préparent chacun un « gouvernement de rechange » dans le cas où « il » reviendrait battu... Les intrigues redoublent. Joseph, lui-même, refuse de se rendre aux Tuileries. Il se pose en « héritier présomptif » et ne veut pas « travailler avec les Consuls ». Il est certain que Cambacérès et Lebrun ne sont guère à la hauteur... Balzac aura raison de faire dire plus tard à l’un des personnages d’Une ténébreuse affaire, à propos de Bonaparte :
— Vainqueur, nous l’adorerons ; vaincu, nous l’enterrerons.
XVII
MARENGO OU LA CONSECRATION DU REGIME
Les guerres inévitables sont toujours justes.
N APOLÉON .
À Martigny, petite cité tapie dans la vallée du Rhône au pied du massif du Grand-Saint-Bernard, la maison des Bernardins, faisant face au chevet entouré de marronniers de l’église paroissiale, existe toujours. C’est la résidence du supérieur de la Congrégation – prélat portant crosse et mitre – un peu une maison de repos pour les chanoines qui mènent au célèbre hospice du col une dure existence, en luttant, aidés de leurs chiens, afin d’arracher à la mort les voyageurs égarés. Comme nous aujourd’hui, Bonaparte, le matin du 17 mai 1800, est reçu par les chanoines en soutane noire ornée d’un petit cordon blanc – dérivé du rochet des chanoines réguliers. Il monte les quatre marches basses du perron qui conduisent à la porte étroite, surmontée d’une imposte vitrée en demi-cercle. L’architecture rappelle celle que Napoléon verra à l’hospice : plafonds voûtés en croisés d’ogive, murs épais, dalles gris-bleu. Après avoir gravi les dix-huit marches de l’escalier – précédé par le prévôt, le chanoine Luder – il suit un couloir étroit, voûté lui aussi, et se trouve devant la magnifique grille de clôture séparant l’ancien bâtiment de celui qui vient, en 1800, d’être construit en retour d’équerre, et dans lequel Bonaparte va séjourner. Une grille dont de grandes fleurs de lys en fer forgé forment tout le décor, surmontée par les armes du prévôt franc-comtois Thévenot, entourées par le chapeau épiscopal de l’abbé
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