Bonaparte
poser un matelas sur deux bottes de paille, et dort mal, enroulé dans une couverture de coton, insuffisamment protégé du froid.
Après une nuit détestable, Bonaparte se remet en route pour Aoste. La vallée est souriante et les arbres sont en fleurs. Les soldats de l’armée de réserve ne sont pas dépaysés. Tout le val parle le français – et il en est encore ainsi aujourd’hui.
Le lendemain, tandis que l’arrièregarde traverse à son tour le défilé, il arrive dans la vieille cité d’Aoste où il descend au palais épiscopal. Cagliani le trouve ce soir-là « mince, délicat, le blanc de l’oeil comme du citron et la figure de même, son chapeau recouvert de toile cirée ». Et il précise : « Bien que jeune, il ne parlait pas, il était toujours triste et se retournait souvent pour voir si les troupes avançaient »...
Elles avançaient ! Toute l’armée est en effet passée, soit cinquante mille onze hommes, dix mille trois cent soixante-dix-sept chevaux, sept cent cinquante mulets, soixante-seize pièces d’artillerie et un même nombre de caissons, quarante-neuf affûts-traîneaux et cent trois voitures. Bilan des pertes : trois canonniers, un hussard, deux soldats de l’avant-garde, tués à l’attaque du petit poste autrichien de Saint-Rhémy, et un fusilier de là 96 e mort de congestion.
Bonaparte quitte Aoste le matin du 25 mai pour rejoindre Berthier qui se trouve à Verrès, à une quarantaine de kilomètres de là. La route de Turin suit maintenant le fond de la vallée, coupée de défilés rocheux et plantée de vignes élevées en treilles et soutenues par des fûts de pierre ou de bois taillés. Après Saint-Vincent, la Doire tourne à droite pour franchir le défilé du mont Jovet. De Saint-Vincent, Bonaparte se dirige vers le col de Joux. Si Lannes est battu à Ivrée, peut-être pourrait-on se replier par ce chemin ? À son retour vers Saint-Vincent, dans le défilé du mont Jovet où, au pied des murailles escarpées coule la Doire, Bonaparte et Duroc distancent quelque peu leur escorte composée de vingt-cinq chasseurs. Soudain, suivi d’une dizaine de pandours – des uhlans – un lieutenant autrichien – il était d’origine belge et s’appelait Leclerc – descend au grand trot des hauteurs de Challant.
— Rendez-vous, crie-t-il à Bonaparte en le tenant au bout de son pistolet.
Napoléon arrête son cheval :
— Monsieur, demande-t-il, qui êtes-vous pour nous parler ainsi ?
— Nous sommes du corps des éclaireurs de Wukassovich.
Le consul tente de gagner du temps :
— Monsieur, je vais consulter mon camarade ; mais, par égard pour deux officiers décidés à ne pas vous opposer de résistance, priez vos soldats de ne plus nous menacer de leurs armes.
Sur un geste de l’officier, les pistolets regagnent les fontes. Au même moment, les chasseurs arrivent au galop.
— Maintenant, mon lieutenant, constate en souriant Bonaparte, vous êtes le prisonnier du Premier consul !
Il passe la nuit à Verrès où il apprend que le fort de Bard, à huit kilomètres de là, résiste toujours. Si l’infanterie, au prix de mille difficultés, a pu prendre un sentier qui, à travers la montagne, lui a permis de rejoindre la vallée de l’autre côté du défilé, l’artillerie demeure, elle, toujours immobilisée devant le fort.
Le Premier consul veut se rendre compte par lui-même et se remet en route.
Brusquement, surgit devant lui le fort de Bard : plusieurs bâtiments de pierre grise superposés, épais, trapus, percés de meurtrières coiffant un gigantesque rocher qui semble avoir basculé de la cime du mont Albaredo. De sa haute masse, il ferme la vallée. L’obstacle – encore aujourd’hui – paraît infranchissable. Bonaparte ordonne à sa maigre escorte de se mettre au galop pour gagner, sur la gauche « du vilain castel » un petit sentier de chèvres qui mène au mont Albaredo et qu’il gravit à pied. Arrivé sur le plateau qui domine de très près le fort, il se dissimule derrière les broussailles pour éviter les coups des assiégés et examine le fort avec la plus grande attention : l’ouvrage relié par des galeries souterraines à des batteries avancées, dont seize de fort calibre, est bardé d’enceintes, de fossés, de pont-levis, de tours, de corps de garde. Le capitaine Bernkopf commande une garnison de trois cent cinquante à quatre cents Sardes et Croates.
Il faut absolument enlever cette maudite forteresse ! Bonaparte
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