Bonaparte
décadaire » a été abandonné au profit du culte catholique. Seuls, à contrecoeur, les fonctionnaires suivent encore le service officiel, tandis que la masse des fidèles a retrouvé ses autels et ses prêtres. – de préférence réfractaires.
Un décret autorise bientôt la liberté des cultes. Il s’agit sans doute d’un premier pas vers le retour à l’ordre ancien, malheureusement – et ce n’était point là le but recherché – cette première étape va donner naissance à de nombreux schismes dus à l’existence de prêtres constitutionnels ou clandestins, insermentés soumis ou insoumis. Des collectivités religieuses de tendances diverses apparaîtront. C’est ainsi qu’on pourra lire dans les Petites Affiches cette annonce concernant une « église à louer » : « S’il se présentait une société d’ecclésiastiques bien d’accord entre eux, on pourrait traiter avec eux d’une manière satisfaisante. »
Bonaparte est à peine déiste. En outre, bien des choses le gênent dans l’église catholique :
— Je suis loin, avoue-t-il, d’être athée, assurément ; mais je ne puis croire à tout ce que l’on m’enseigne, sans être faux et hypocrite.
Bonaparte croit en Dieu par raison d’État et reconnaît l’utilité de la Religion – ne serait-ce que pour aider les déshérités à admettre l’inégalité :
— La société ne peut exister sans l’inégalité des fortunes, et l’inégalité des fortunes sans la religion. Quand un homme meurt de faim à côté d’un autre qui regorge, il lui est impossible d’accéder à cette différence s’il n’y a pas là une autorité qui lui dise : « Dieu le veut ainsi ; il faut qu’il y ait des pauvres et des riches dans le monde ; mais ensuite, et pendant l’éternité, le partage se fera autrement. »
Il ne veut surtout point, à l’instar des gouvernements qui l’ont précédé durant dix années, détruire la religion mais l’utiliser à son profit. Il se confie à Roederer :
— C’est en me faisant catholique que j’ai fini la guerre de la Vendée, en me faisant musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant ultra-montain que j’ai gagné les esprits en Italie. Si je gouvernais un peuple de Juifs, je rétablirais le temple de Salomon.
Et deux jours plus tard, à ce même Roederer :
— Comment avoir de l’ordre dans un État sans une religion ?
Pour Bonaparte, les premiers coups contre la Religion ont été fâcheusement portés par les philosophes du XVIII e siècle.
— Plus je lis Voltaire, plus je l’aime, dit-il encore à Roederer. Jusqu’à seize ans, je me serais battu pour Rousseau contre tous les amis de Voltaire. Aujourd’hui, c’est le contraire... La Nouvelle Héloïse ! Je l’ai lue à neuf ans. L’ouvrage m’a tourné la tête.
— C’est un fou, votre Rousseau, déclare-t-il à Stanislas de Girardin, en visitant Ermenonville... Il aurait mieux valu pour le repos de la France que cet homme n’ait pas existé.
— Et pourquoi, citoyen Consul ? demande Stanislas de Girardin.
— C’est lui qui a préparé la Révolution française.
— Je croyais, citoyen Consul, que ce n’était pas à vous à vous plaindre de la Révolution...
Un jour qu’il se promène dans le parc de Malmaison qu’il aime tant, il entend « dans cette solitude » la cloche de l’église de Rueil sonner l’Angélus.
— Je fus ému, avoue-t-il à Thiébaudeau, tant est forte la puissance des premières habitudes et de l’éducation. Je me dis alors : « Quelle impression cela ne doit-il pas faire sur les hommes simples et crédules ? » Que vos idéologues, que vos philosophes répondent à cela. Il faut une religion au peuple !
Ce sont également ses souvenirs d’enfance qui remontent en lui lorsqu’il avoue être séduit par le clinquant de la pompe ecclésiastique. Vainqueur de Marengo, entré en triomphateur à Milan, il avait écrit dans le Bulletin destiné à l’armée : « Il – c’est de lui dont il parle – a été reçu à la porte par tout le clergé, conduit dans le choeur sur une estrade préparée à cet effet et celle sur laquelle on avait coutume de recevoir les consuls et premiers magistrats de l’empire d’Occident. Cette cérémonie était imposante et superbe... »
Une semaine plus tard, s’arrêtant à Verceil, il avait prié le cardinal Marciana de bien vouloir faire connaître au pape son désir de voir cesser le véritable schisme qui divisait le clergé
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