Bonaparte
qu’ils avaient dû autrefois prêter serment à la Constitution civile du Clergé. Il avait fallu huit mois pour trouver cet accommodement. Enfin, le 14 juillet 1801 – à l’occasion de la fête « destinée à célébrer cette époque d’espérance et de gloire où tombèrent les institutions barbares » – le Premier consul peut annoncer aux Français que, bientôt, cessera « le scandale des divisions religieuses ». En effet, le surlendemain, à deux heures du matin, le Concordat est enfin signé. Certains membres du Corps législatif ne sont pas satisfaits. Ils ironisent :
— Si cela continue, il faudra sans doute que nous nous munissions de billets de confession...
Bonaparte passe outre et ne s’arrête pas aux objections soulevées par la signature du traité :
— Nous avons fini le roman de la Révolution ; il faut en commencer l’histoire et voir ce qu’il y a de réel et de possible dans l’application des principes et non ce qu’il y a de spéculatif et d’hypothétique. Suivre une autre marche serait philosopher et non gouverner.
Il ajoutera :
— Le Concordat n’est le triomphe d’aucun parti, mais la consolidation de tous.
Politiquement Napoléon a vu juste : la ratification du Saint-Siège crucifie véritablement le futur Louis XVIII :
— Si j’avais, comme Saint Louis, mes barons assemblés, je ferais afficher une protestation aux portes du Vatican. Mais je suis sans troupes, sans argent, sans asile !
Enghien, lui, dira avec amertume :
— On est grand homme à bon marché quand on l’est comme Bonaparte. Rien ne lui résiste, pas même Dieu !
En s’intitulant « le dévoué fils de Sa Sainteté », Napoléon annonce lui-même au Pape la promulgation du Concordat pour le jour de Pâques – 18 avril 1802 –, journée où l’on doit aussi célébrer la paix d’Amiens. Ce matin-là, le son du bourdon de Notre-Dame, muet depuis dix années, tire les Parisiens du sommeil.
— Le bourdon ! s’écrie un ouvrier. J’aime mieux cela que le canon d’alarme !
Les cloches ont réveillé également le consul de bonne heure. Constant lui passe son uniforme de colonel de la Garde consulaire lorsque Joseph et Cambacérès entrent dans la pièce.
— Eh bien ! lance Bonaparte, nous allons à la messe, que pense-t-on de cela dans Paris ?
— Beaucoup de gens, répond Cambacérès, se proposent d’aller à la première représentation et de siffler la pièce, s’ils ne la trouvent pas amusante.
— Si quelqu’un s’avise de siffler, je le fais mettre à la porte par les grenadiers de la Garde consulaire !
— Mais, reprend Cambacérès, si les grenadiers se mettent à siffler comme les autres ?
— Pour cela, je ne le crains pas. Mes vieilles moustaches iront ici à Notre-Dame, tout comme au Caire ils allaient à la mosquée. Ils me regarderont faire, et en voyant leur général se tenir grave et décent, ils feront comme lui, en se disant : C’est la consigne !
— J’ai peur, renchérit Joseph, que les officiers généraux ne soient pas si accommodants. Je viens de quitter Augereau qui jette feu et flamme contre ce qu’il appelle vos capucinades. Lui et quelques autres ne seront pas faciles à ramener au giron de notre sainte mère l’Église.
— Bah ! – et Bonaparte hausse les épaules – Augereau est comme cela. C’est un braillard qui fait bien du tapage, et s’il a quelque petit cousin imbécile, il le mettra au séminaire pour que j’en fasse un aumônier...
La France redevient la fille aînée de l’Église.
Au-dessus de Paris le ciel est couvert et le vent souffle. La journée commence par la traditionnelle revue du Carrousel. Un coup de canon retentit et Bonaparte saute, « avec une extraordinaire agilité », sur son nouveau cheval blanc baptisé Marengo. Tandis que les trompettes sonnent et que les tambours battent, le consul, suivi de son habituel cortège doré et empanaché, s’élance au grand trot et parcourt les rangs. Les officiers saluent de l’épée et du sabre, les soldats présentent les armes. Lui, passe sans répondre, ne saluant – et bien bas – que les drapeaux. « Le teint de Bonaparte est foncé, nous dit un témoin anglais – Henri Redhead York, qui le vit ce matin-là, son visage ovale, son menton allongé, ses yeux noirs et perçants, ses cheveux noirs coupés de court, et sans aucune poudre. Son sourire est étonnamment fascinateur, mais ses traits deviennent terribles au moindre mouvement de colère. Sa voix a une
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