Bonaparte
français. Bonaparte, en dépit de ses victoires, savait qu’il ne parviendrait pas à rétablir la paix et l’unité religieuse sans l’appui de Rome. Seul le Pape pourrait mettre fin au chaos. Mais, on s’en doute, traiter avec le papisme déchaîne l’opinion jacobine et royaliste. Certains suggèrent de profiter des circonstances pour créer une église gallicane.
— Je suis convaincu, déclare Bonaparte, qu’une partie de la France se ferait protestante, surtout si je favorisais cette disposition ; mais je le suis encore davantage que la plus grande partie resterait catholique, et lutterait avec un plus grand zèle et une plus grande ferveur contre le schisme d’une portion de leurs concitoyens. Je crains les querelles religieuses, les dissensions dans les familles, les troubles inévitables. En relevant la religion qui a toujours dominé dans le pays, et qui domine encore dans les coeurs, et en laissant les minorités exercer librement leur culte, je suis en harmonie avec la nation, et je satisfais tout le monde.
L’autorité du Pape placée au sommet de la hiérarchie catholique lui parait indispensable :
— Si le Pape n’avait pas existé, il eût fallu le créer pour cette occasion, comme les consuls romains faisaient un dictateur dans les circonstances difficiles.
Il insiste :
— Il me faut le Pape maintenant pour réparer cette destruction impolitique que Robespierre lui-même jugeait telle, quand le grand instigateur de la mesure, Chaumette, fut traîné à l’échafaud. Jamais le Pape ne pourra me rendre un plus grand service ; sans effusion de sang, sans secousse, lui seul peut réorganiser les catholiques de France sous l’obéissance républicaine. Je le lui ai demandé.
Cependant, il était plus facile d’élaborer les bases d’un accord, que d’atteindre le but : le Concordat.
— Comment dois-je le traiter ? demande à Bonaparte son premier envoyé auprès de Pie VII.
— Traitez-le comme s’il avait deux cent mille hommes, répond-t-il avec superbe.
Tout en désirant sincèrement aboutir à une conclusion, Bonaparte, avec une obstination inébranlable, exige une église plus gallicane que papiste. C’est seulement le 22 juin 1801 qu’il reçoit le cardinal Consalvi.
— Qu’il vienne en costume le plus « cardinal » possible, a-t-il recommandé.
Dès le lendemain, une commission est créée. Et non sans mal, le Concordat se prépare. Les négociations sont menées du côté français par Joseph Bonaparte, Crétet et l’abbé Étienne Bernier. Ce dernier, après avoir été l’un des chefs les plus influents de la chouannerie, s’est rallié à Bonaparte.
— L’abbé Bernier, raconta le Premier consul, faisait peur aux prélats italiens par la véhémence de sa logique. On aurait dit qu’il se croyait au temps où il conduisait les Vendéens à la charge contre les bleus. Rien n’était plus singulier que le contraste de ses manières rudes et disputueuses avec les formes polies et le ton mielleux des prélats. Le cardinal Caprara est venu d’un air effaré, me demander s’il est vrai que l’abbé Bernier s’est fait, pendant la guerre de Vendée, un autel pour célébrer la messe, avec des cadavres de républicains. Je lui ai répondu que je n’en savais rien, mais que cela était possible.
— Général Premier consul, s’écria le Cardinal épouvanté, ce n’est pas oun chapeau rouge, mais oun bonnet rouge qu’il faut à cet homme !
— J’ai bien peur, poursuivit le Premier consul, que cela ne nuise à l’abbé Bernier pour la barrette...
Cela ne lui nuira pas trop et l’abbé recevra, quelques mois plus tard, l’évêché d’Orléans.
Désormais le Catholicisme est reconnu – c’était une vérité à la manière de La Palisse – « comme religion professée par la majorité des Français ». La « hiérarchie de l’Église » est, elle aussi, admise par l’État qui nommera les nouveaux évêques, recevra leur serment de fidélité, leur donnera un traitement, tandis que le Pape leur accordera l’investiture canonique. Le problème du clergé constitutionnel s’avère plus épineux. On convient de ne pas en parler officiellement, mais la question n’en est pas moins résolue : les prêtres jureurs ne devront pas se rétracter – « chose, précisait Bonaparte qu’on ne pouvait pas exiger d’eux sans les déshonorer » – et il leur sera permis de rentrer dans le sein de la nouvelle église. On fera semblant d’oublier
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