Bonaparte
intonation profonde, un peu rauque même. C’est surtout à cheval que sa figure apparaît à son avantage. » La revue achevée, Bonaparte « rentre au palais avec la rapidité d’une flèche ».
Puis, dès qu’il a revêtu son célèbre costume rouge de Premier consul, Bonaparte s’apprête à partir pour Notre-Dame. Précédé d’un corps de mameluks – escorte inattendue pour se rendre à un Te Deum – le Premier consul prend place avec ses deux collègues dans un carrosse, tiré par huit superbes chevaux bais – cadeau du roi d’Espagne... un Bourbon ! Les mameluks qui tiennent par la bride les chevaux, sont tout de vert et d’or habillés, ainsi que les piqueurs et les valets de pied. Après un intervalle suivent les carrosses de Joséphine et de Mme Letizia. Des hussards ferment la marche. Le cacochyme Mgr de Belloy, cardinal nonagénaire, – il était né sous Louis XIV ! – accueille les consuls et les conduit devant l’autel. La veille, le clergé avait fait demander s’il devait encenser en même temps Bonaparte, Cambacérès et Lebrun...
— Non, pas eux, avait répondu le futur empereur. Pour mes deux collègues, cette fumée est encore trop solide...
Mehul et Cherubini dirigent chacun un orchestre. Le Te Dewm a été composé par le fécond – et flagorneur – Giovanni Paesiello qui était alors le compositeur préféré de Bonaparte. Le Consul avait tout naturellement prié le roi de Naples – encore un Bourbon ! – de lui envoyer son maestro pour l’organisation de sa chapelle.
Poursuivant son récit, Henri Redhead York raconte : « Trois trônes étaient placés en face de l’autel, pour les consuls ; celui de Bonaparte avait été mis un peu devant les autres, mais il accusa encore la distance avant de s’y asseoir. Il resta fièrement assis sur son fauteuil pendant toute la cérémonie, excepté à la consécration de l’hostie et à la communion, où il se tint debout, et au moment de l’élévation, où, non content de se relever, il se signa dévotement. Le consul Lebrun était à sa droite, et Cambacérès à sa gauche. Ces deux automates se montrèrent parfaitement indifférents à toute la cérémonie. Quand la grand-messe fut terminée, les évêques s’approchèrent à tour de rôle pour prêter serment de fidélité ; lorsque chacun de ces prélats mitrés s’agenouillait devant Bonaparte, celui-ci répondait d’un aimable signe de tête, mais lorsqu’un pauvre prélat, presque aveugle et trop faible pour s’agenouiller, s’inclina par erreur devant Cambacérès, le Premier consul fronça si terriblement les sourcils que le pauvre vieillard perdit complètement la tête, et ne s’arrêta point d’adresser d’humbles salutations au Premier consul, si bien qu’on dut lui enjoindre de se retirer... »
La cour consulaire semble bien ébahie de se trouver là. Ainsi que le remarquera plaisamment Bourrienne, les hommes qui la composaient « avaient le plus contribué à la destruction du Culte en France et ayant passé leur vie dans les camps, étaient plus souvent entrés dans les églises d’Italie pour y prendre des tableaux que pour y entendre la messe ».
Le lendemain, Bonaparte désire savoir comment Augereau a trouvé la cérémonie.
— Très belle, répond le général ; il n’y manquait qu’un million d’hommes qui se sont fait tuer pour détruire ce que nous rétablissons.
Bonaparte est d’autant plus irrité par ce propos, qu’il prend son rôle de protecteur de l’église fort au sérieux. Lorsque, quelque temps plus tard, Cazeneuve, « archevêque de Saint-Domingue » lui fait demander quel jour « il pourra lui prêter serment de fidélité », le Premier consul trace ces mots en marge : « Renvoyé au citoyen Portalis pour lui demander pourquoi il prend le titre d’archevêque, et, s’il l’est, qui l’a nommé. »
L’Allemand Bulow l’écrit avec raison : « Le Pape n’est plus maintenant que ce qu’il était au temps de Charlemagne, un instrument dans la main de l’Empereur. Il est l’évêque de Rome, disposant de revenus importants, mais sa puissance est bien réduite, sinon nulle. »
Bonaparte s’offre même le luxe de remettre sous la protection de la France le Saint-Sépulcre, tous les chrétiens de Syrie et les églises de Constantinople. Il fait envoyer à « Sa Sainteté », deux vaisseaux : le Colibri et le Speedy : « Vous les ferez baptiser, ordonne-t-il à Decrès, l’un du nom de Saint-Pierre et
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