Bonaparte
soupçonnés par aucune des personnes qui l’accompagnaient. »
Son extrême fébrilité se manifeste lorsqu’il se déshabille : il arrache et jette ses vêtements à terre avec une manière de rage. Sa nervosité déclenche chez lui de terribles colères. Ceux qui l’entourent – depuis ses maréchaux et sa famille jusqu’au dernier valet de pied – se trouvent traités de benêts, d’incapable, de traître, de voleur, de lâche...
À Lucien, il criera un jour :
— Je te briserai comme cette montre.
Et il la jettera à terre. Les ailes du nez se dilataient « gonflées par un orage intérieur », ses yeux fulguraient. Il paraissait alors véritablement « terrible ». Mollien nous le rapporte : « Ses yeux, ses traits, tous ses gestes, la vivacité, la singularité de ses expressions, l’incorrection même de quelques-unes d’elles, le ton absolu de ses décisions, tout en lui semblait dire que, dans de tels moments, ceux qui l’entouraient n’avaient d’autre parti à prendre que celui du silence et de la soumission. » Mais le lendemain, il se souvenait à peine de l’orage de la veille.
La sottise est assurément ce qui le révolte le plus.
— J’ose espérer, lui dira le ministre Barbé-Marbois, à qui il venait d’enlever le portefeuille des Finances, que Votre Majesté ne m’accusera pas d’être un voleur.
Il lance alors – implacable :
— Je le préférerais cent fois : la friponnerie a des bornes, la bêtise n’en a pas.
Il semble que, parfois, aussi, ses terribles fureurs
— « ma figure d’ouragan », disait-il – soient voulues, et même contrôlées :
— Vous m’avez cru bien en colère, dit-il un jour à l’abbé de Pradt, détrompez-vous...
Et, montrant son cou, il explique :
— Chez moi, la colère n’a jamais dépassé cela.
La paresse cependant le met hors de lui. Infatigable, il est sans pitié pour les autres dont il ne peut admettre le manque d’énergie :
— Je me déclare le plus esclave des hommes, mon maître n’a pas d’entrailles, et ce maître, c’est la nature des choses.
— Le seul peut-être de la terre, dira Molé, il n’a jamais laissé une minute de sa vie sans emploi. Jamais il n’a connu cette évaporation insensible du temps qui n’est pas sans charme, mais qui fait avorter tant de dons précieux.
Il tue ses aides de camp à la tâche :
— Il faut être de fer pour résister au métier que nous faisons, soupira l’un d’eux.
S’il ne parvient pas à s’endormir, il prie tout naturellement Joséphine de lui faire la lecture. Parfois, il se réveille à trois heures du matin et appelle :
— Ohé ! Oh ! Oh ! Monsieur Constant !...
Il demande au valet de chambre de lui préparer un bain. Le plus souvent, il fait chercher Méneval, lui dicte jusqu’à l’aube, et s’étonne de voir le jeune secrétaire lutter contre le sommeil :
— Qu’avez-vous donc, Méneval ? Vous dormez debout !
En ce début de l’été 1804, les ordres affluent ; ils concernent presque tous le camp de Boulogne où l’on prépare fébrilement l’invasion de l’Angleterre.
XXIII
SACRE PAR LE PAPE
Un trône n’est qu’une planche garnie de velours.
N APOLÉON .
D’ ABORD et toujours l’Angleterre. Ainsi que l’a dit le nouvel empereur :
— Une descente et un séjour de deux mois en Angleterre seraient pour la France une paix de cent ans.
Il est surprenant que Napoléon puisse espérer franchir le pas de Calais en s’imaginant que les Anglais vont paisiblement attendre l’arrivée des chaloupes de l’envahisseur sur le rivage méridional de leur île baptisée par eux la Cote de fer. Leurs flottes, non seulement gardent le canal, croisent sans cesse en face de la ligne d’embossage hors de portée des canons, mais encore Nelson se trouve en Méditerranée, surveillant les vaisseaux de l’impétueux Latouche-Tréville, à l’abri dans la rade de Toulon, tandis que Cornwallis est chargé de bloquer l’amiral Ganteaume devant le goulet de Brest. Quant à la flotte à l’ancre à Rochefort, sous les ordres de Missiessy, elle n’ose s’aventurer de peur d’être anéantie dès la première rencontre.
Napoléon a un plan : faire croire à Nelson que Latouche-Tréville va cingler vers l’Égypte. En réalité, l’escadre méditerranéenne, composée de onze vaisseaux, rejoindrait la flotte de Rochefort et partirait avec elle pour la Manche. Napoléon s’imagine qu’une division marine se manoeuvre comme une division
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