Bonaparte
acceptant de se rendre à Paris – et c’était là un interminable voyage, surtout pour un vieillard valétudiaire – Pie VII ne pouvait-il pas espérer voir modifier certains articles organiques concernant les statuts du clergé de France, véritablement assujetti à l’État ? Peut-être – et en cela le Pape se faisait encore des illusions – Napoléon le remercierait-il en lui rendant les Légations ?
Un point important « affligeait profondément le coeur de Sa Sainteté » : le jour du sacre, le nouvel empereur ne devait-il pas, dans son serment, jurer de respecter la liberté des cultes ? Le pape voyait là – Consalvi le faisait savoir à Caprara – « un obstacle qui, si on ne parvient pas à l’écarter, l’empêchera de mettre à exécution le projet où il était d’aller faire lui-même le sacre et la consécration de Sa Majesté Impériale... »
Fesch – cette nullité pourprée – que Napoléon avait envoyé à Rome, s’en tira comme il put, en usant de toute son éloquence. « Chaque jour il avait de longs entretiens avec Consalvi. Autoritaire et emporté, il brouillait aisément tous les problèmes. Cherchant tous les arguments susceptibles de convaincre l’Italien, il faisait alterner les politesses et les menaces, les flatteries et les coups de boutoir. Tantôt il accusait la Curie de se laisser influencer par les puissances étrangères, tantôt il s’étendait avec emphase sur la magnanimité de l’Empereur qui se montrerait sans nul doute, à l’égard du Saint-Siège, « aussi généreux que Charlemagne ». Son insistance devenait presque gênante. « Jamais on ne pourra raconter ni même présenter les discussions si pénibles et les ennuis si profonds que j’eus à subir pendant ces longues négociations, raconte Consalvi... Je supportais même ce qui était insupportable... » {36} .
Napoléon n’envisageait même pas que le Pape pût refuser de venir à Paris sous le prétexte que protestants et juifs étaient libres de suivre leur propre culte.
— Eh bien, nous aurons donc le Saint-Père à Paris pour sacrer mon mari’ ? demanda Joséphine à Gaprara.
Le prélat, fort ennuyé, ne répondit pas, et l’Impératrice, se méprenant sur ce silence, poursuivit :
— Nous savons que les affaires sont arrangées. Du reste, votre discrétion mérite l’estime et je ne puis désapprouver Votre Éminence de garder le silence.
Le Légat s’armant de courage expliqua à l’impératrice les raisons qui faisaient hésiter Sa Sainteté. Talleyrand aussitôt alerté, essaya alors de démontrer au Saint-Siège que jurer de respecter les différents cultes des Français ne voulait pas dire les approuver. Chacun savait qu’en « fils soumis », le nouvel empereur conseillerait plutôt de suivre la religion catholique. Ne la pratiquait-il pas lui-même, et depuis son enfance ?
Un obstacle aplani, un autre allait surgir : le couronnement proprement dit. Si Napoléon jugeait indispensable la présence du Pape à la consécration du nouvel empereur et à son sacre, il ne devait pas être question de le couronner. Il n’entendait pas être traité comme un vassal – même si le suzerain était le vicaire du Christ : c’est du peuple qu’il prétendait tenir sa couronne et non de Dieu ! Certains envisageaient de dissocier alors totalement les deux opérations et de faire du couronnement une cérémonie uniquement civile. Fesch déclara qu’une seule chose comptait : le sacre ! Il n’était pas loin de considérer le couronnement comme un acte secondaire... « Le Pape, répondit Consalvi, ne croit pas convenable d’aucune manière à sa dignité qu’étant invité à se transporter expressément à Paris pour placer, de sa main, la couronne impériale sur la tête auguste de Sa Majesté, cette cérémonie puisse être exécutée par une autre main... » Une autre main ? Il était bien question dé cela ! Cette autre main ne pouvait être que celle de l’Empereur ! Napoléon fît savoir à Rome « qu’il désirait prendre la couronne pour éviter toute discussion entre les grands dignitaires de l’Empire qui prétendraient la lui donner au nom du peuple ». C’est lui qui avait relevé la couronne que les Bourbons avaient laissé échapper de leurs mains incapables, c’est lui-même qui se couronnerait ! Le Pape n’avait, pendant ce temps, qu’à se contenter de « prononcer une prière ».
Et puis, à quoi servait d’échanger notes, propositions et rapports,
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