Bonaparte
habitants viennent au-devant des vainqueurs. Aussitôt les troupes se répandent dans la ville qui, nous disent les Représentants, « offre le spectacle le plus affreux ». Le pillage est autorisé et la Terreur se trouve là comme chez elle. « La vengeance nationale se déploie ». « On ordonne à tous les habitants de se réunir sur la place, racontera Marmont. On demande à ceux-ci quels sont les ennemis de la République... et là, chacun indique ses ennemis personnels ou ses créanciers ; ceux-ci à l’instant, sont saisis et mis à mort. » La « ville infâme » aux trois quarts rasée par douze mille terrassiers venus des départements voisins, s’appellera désormais Port de la Montagne.
Buonaparte a été nommé, le 22 décembre, au grade provisoire de général de brigade. Assurément il est républicain et n’a alors pas de mots assez durs pour fustiger les royalistes, mais c’est avec horreur qu’il assiste aux « fusillades à force », et – grâce à ses nouveaux galons – parvient, nous racontera encore Marmont, à sauver plusieurs victimes.
Avec délectation Fouché, accouru à Toulon, pourra écrire à son ami Collot d’Herbois : « Nous n’avons qu’une manière de célébrer cette victoire ; nous envoyons ce soir deux cent treize insurgés sous le feu de la foudre. Adieu, mon ami, les larmes de la joie coulent de mes yeux et inondent mon âme. » Le nouveau général tourne le dos au massacre ordonné par celui qui sera un jour son ministre, – cela ne le concerne pas –, mais il ne se repose point sur ses lauriers. Il le précisera : il met la ville et le port en état de se défendre et place en batterie au Balaguier quinze pièces de canon « avec une bonne forge à boulets rouges ». Puis, il installe dix pièces à l’Eguillette et douze à la Grosse Tour. Trois bricks espagnols de dix-huit canons, ignorant les événements, entrent de nuit dans la petite rade. « Nous les avons pris tous les trois, à leur grand étonnement », racontera Buonaparte.
Le nom du jeune général est sur toutes les lèvres. « Je manque d’expressions pour te peindre le mérite de Buonaparte, écrit le général du Teil au ministre de la Guerre : beaucoup de science, autant d’intelligence et trop de bravoure, voilà une faible esquisse des vertus de ce rare officier ; c’est à toi, ministre, de le consacrer à la gloire de la République. »
— Si on était ingrat envers lui, déclare de son côté Dugommier avec une étonnante prescience, cet officier avancerait tout seul... On n’est point ingrat.
Son grade « provisoire » de général de brigade est confirmé et, le 26 décembre, on le charge de procéder à l’inspection des côtes de Marseille à Nice. En quatre mois, il est passé du grade de capitaine à celui de général – et même d’inspecteur général ! Pour obtenir un avancement aussi rapide, le 19 janvier 1794, il lui a fallu répondre à un questionnaire dont peu d’historiens ont fait état {9} . Cet « état des services du citoyen Buonaparte » est conservé aux Archives de la Guerre et sa lecture réserve quelque surprise. Sans doute Napoleone Buonaparte se vieillit-il d’un an, sans doute parle-t-il de son commandement « lors de la prise de la Magdeleine » – la Maddalena – or, l’île n’a jamais été prise ! Mais, ce qui nous paraît plus décevant et regrettable, c’est d’avoir caché son passage à l’École militaire de Paris réservée aux ci-devant noble au non noble ? » et d’avoir répondu à cette dernière question en traçant ces deux mots : Non noble. Il ne manquait pourtant pas dans l’armée républicaine d’anciens aristocrates, tel, par exemple, Alexandre de Beauharnais à qui Napoleone succédera un jour dans le lit de Joséphine...
Mais pour être nommé général à vingt-quatre ans, que ne faut-il point faire ? Surtout lorsqu’on se trouve guidé par l’ambition – cette ambition que ses chefs lui reprochent déjà...
Napoleone commence son travail d’inspecteur des côtes et on le verra, durant ces deux premiers mois de l’année 1794, galoper de Marseille à Nice. À Marseille, le fort Saint-Nicolas, flanquant l’entrée du Vieux-Port avec le fort Saint-Jean, date de Vauban et se trouve en pitoyable état. Sa valeur militaire est nulle, mais, en cas de troubles, l’ouvrage pourrait tenir la ville en respect. Aussi, dès le 4 janvier 1794, Buonaparte écrit-il au ministre : « Il est indispensable de remettre
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