Bonaparte
1 de la rue de Villefranche – aujourd’hui le 6 de la rue Bonaparte. Il a loué un appartement chez Joseph Laurenti, un riche négociant.
— Quelle chance, lui a-t-il dit, en voyant la bibliothèque de son hôte, de posséder tant de livres !
— Mon général, a répondu Laurenti, ils sont à votre disposition. Prenez et lisez ce qu’il vous plaira.
Lorsqu’il ne lit pas, lorsqu’il ne travaille pas – et en attendant la reprise des opérations contre le roi de Sardaigne – le jeune général aime faire de longues promenades dans le vaste jardin des Laurenti, presque un parc planté d’orangers et de citronniers. À ses côtés, marche à petits pas la fille de la maison, la brune Emilie aux yeux de braise qui n’a que quinze ans. Le futur empereur la trouve charmante... si charmante que le souvenir de Désirée commence à s’estomper.
Le 5 avril, la veille de l’entrée en campagne – cette première et modeste campagne d’Italie – Augustin Robespierre écrit à son frère Maximilien : « J’ajoute aux patriotes que je t’ai déjà nommés, le citoyen Buonaparte, général en chef de l’artillerie, d’un mérite transcendant. Ce dernier est Corse ; il n’offre que la garantie d’un homme de cette nation qui a résisté aux caresses de Paoli, et dont les propriétés ont été ravagées par ce traître. »
Napoleone, depuis sa nomination à l’armée d’Italie, a travaillé à un plan d’opérations qui « ouvrirait le Piémont aux armées de la République ». Le plan enthousiasme Robespierre jeune et son collègue Ricord, et les deux représentants l’imposent au général en chef de l’armée d’Italie : le général Dumerbion. « Un homme de soixante ans, d’un esprit droit, brave de sa personne, assez instruit, dira Buonaparte, mais rongé de goutte et presque constamment au lit. »
Le 6 avril, la division Masséna occupe Vintimille. Le surlendemain, abandonnant provisoirement ses batteries, Buonaparte se met à la tête de trois brigades d’infanterie et attaque le fort d’Oneille – ou d’Oneglia. Les soldats piémontais et anglais sont décimés. Le 9, à la tête de ses hommes, il pénètre dans Oneille et, quelques jours plus tard, il participe à la prise d’Orme – ou d’Ormea.
Tandis que Masséna bat les Autrichiens à Muriato et commence sa marche victorieuse vers le col de Tende, Buonaparte a repris – le 25 avril – le chemin de Nice. Il s’installe de nouveau chez les Laurenti. Il trouve Émilia si exquise qu’un soir, étant seul avec Mme Laurenti – il l’appelle maman – il prend son courage à deux mains et lui demande sa fille en mariage. Mme Laurenti, fort troublée par cette démarche imprévue, répond qu’elle va en parler à son mari.
Celui-ci fait la grimace. Un petit général sans-culotte ? Protégé au surplus par les actuels maîtres sanguinaires de la France ? Et qui n’a pour vivre que sa solde ? Il ne peut en être question !
— Vous avez certes un beau commandement, déclare-t-il à Buonaparte, vous êtes un militaire de métier et appelé, je crois à un bel avenir, mais qui répond que vous reviendrez sain et sauf de cette campagne d’Italie ? Il est bien tôt pour engager aussi vite l’avenir de notre fille. Soyez assez raisonnable pour renoncer à ce projet de mariage : si vous persistez, nous en reparlerons à votre retour. D’ici là, vous verrez votre position se dessiner. Nous-mêmes ! aurons eu le temps d’interroger Émilia, de savoir où vont ses goûts, ses préférences. Je suis certain que vous me comprendrez.
Buonaparte ne « comprit » point et se retira chez lui très « affecté », sans adresser la parole à la famille Laurenti.
Buonaparte insiste auprès du valétudinaire Dumerbion pour obtenir des renforts. Il faut profiter de l’avantage obtenu ! Certes, il ne s’agit encore que d’escarmouches, mais elles sont de bon augure !
Cependant les choses ne se présentent pas aussi simplement. Il existe alors une rivalité entre l’armée d’Italie et l’armée des Alpes, soutenue par Salicetti et dont le champ d’action se trouve plus au nord. Celle-ci voit avec fureur sa rivale favorisée grâce à la présence du frère de l’Incorruptible. Augustin détourne en effet, pour « son » armée, vivres, effectifs et matériel... L’action conjuguée entre les deux corps, prônée par certains à Paris, paraît d’autant plus difficile à réaliser que Robespierre jeune désire être seul à
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