Bonaparte
pourrait partir favorablement pour entreprendre une nouvelle offensive... Mais Carnot, à Paris, et Salicetti dans le Midi, ne pensent qu’à reconquérir la Corse livrée aux Anglais par Paoli. Aussi, à la fin de 1794, et au début de 1795, voilà Buonaparte obligé de préparer, à contrecoeur, l’expédition contre la Corse. D’après lui – et il voyait juste – jamais la flotte française ne pourrait percer la croisière anglaise. Mais – Napoleone l’annonce à Désirée : « Salicetti est rappelé à Paris ; un autre représentant le remplace. Il est probable que cela retardera l’expédition de quelques jours. »
C’est en effet seulement le 2 mars que la flotte française quitte Toulon pour la Corse. À la hauteur du cap Noli, l’escadre rencontre la flotte anglo-napolitaine composée de dix-sept navires. Après un bref combat, les Français perdent deux vaisseaux – La Ira et Le Censeur – et se hâtent de mettre le cap sur Toulon. L’expédition a échoué. La conquête de la Corse est remise à plus tard.
Au printemps 1795, Napoleone revoit Désirée à Marseille et à Montredont, où se trouve la bastide des Clary. Cette fois l’amourette fait place à l’amour. Le général semble vraiment épris, mais le service l’oblige à voyager ; il ne peut consacrer tout son temps à Désirée comme il le voudrait. Il n’a que la possibilité de lui écrire et, cette fois – le 11 avril – le ton est tout autre : « Je reçois à l’instant ta lettre du 13 {11} qui m’a fait le plus tendre plaisir. J’ai reconnu à chacune de tes paroles mes propres sentiments, mes propres pensées. Je n’ai pas cessé de t’avoir présente à ma mémoire. Ton portrait est gravé dans mon coeur. Je n’ai jamais douté de ton amour, ma tendre Eugénie, pourquoi te vient-il à l’esprit que je puisse jamais ne plus t’aimer ? Je pars à l’instant pour Tarascon, d’où je t’écrirai ce soir plus en détail. Il est quatre heures de l’après-midi. À toi pour la vie. »
Napoléon, dans une de ses lettres futures, parlera de « promenades où l’amour, précisait-il, nous unissait sans nous contenter »... Assurément Désirée avait accordé à son « ami » quelques privautés. Ils s’étaient promenés dans un bois au clair de lune. Le futur empereur fait également allusion à « une soirée enchanteresse ». S’agit-il de cette soirée où il trouva Désirée cachée sous son lit et où se déroula l’inévitable ? Soirée à laquelle il fera allusion à Sainte-Hélène, en se confiant au grand maréchal Bertrand, en ces termes précis et peu poétiques :
— C’est parce que j’ai pris à Désirée le sexe et le pucelage que j’ai fait Bernadotte maréchal, prince et roi !
Et Napoléon confiera encore à son compagnon d’exil :
— J’avertis sa mère...
Aussi, le 21 avril 1795, se fiance-t-il officieusement avec Désirée. Il ne peut encore être question de fixer une date pour les noces. Bonaparte se trouve alors sans affectation. Comme il y a surnombre de généraux d’artillerie, on l’a désigné, lui le dernier nommé, pour exercer un commandement contre « les brigands » de Vendée, mais il n’a nullement l’intention de rejoindre son poste. Est-il gêné de combattre des Français insurgés, alors que la Terreur n’est plus à l’ordre du jour ? On l’a si souvent affirmé que l’on a fini par croire à cette légende. N’est-il pas descendu avec entrain dans les rues d’Ajaccio ? N’a-t-il point participé à la répression de Marseille ? N’a-t-il pas lui-même proposé de placer des batteries « pour maîtriser la ville » si elle osait bouger ? Et dans quelques mois, hésitera-t-il à pulvériser à coups de canon les sectionnaires royalistes de Paris marchant sur la Convention régicide ? Participer à une guerre civile ne l’effraye pas, mais l’artillerie ne peut être d’aucune utilité en Vendée, dans cette guerre de haies et de bocages... Sans doute lui offrira-t-on de commander une brigade de lignards, mais il ne veut point changer d’arme. Il ne retirerait d’un tel commandement aucune gloire qui puisse servir son ambition. Ce sont là les véritables raisons de son attitude qu’il compte expliquer verbalement au ministre. C’est pourquoi, il décide de partir pour Paris avec Louis, en s’adjoignant comme aides de camp – et de sa propre autorité – Junot et Marmont. Avec l’appui de Ricord, il espère bien recevoir un autre
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