Bonaparte
pieds. »
Le 17 octobre, « une heure après minuit », les signatures sont échangées à Passeriano, mais le traité est daté de Campo-Formio, où personne n’a jamais mis les pieds, et qui se trouve à mi-chemin des deux résidences.
En prenant congé de Cobenzl, Bonaparte s’excuse d’avoir conduit les négociations d’une manière fort peu diplomatique :
— Je suis, dit-il en souriant, un soldat habitué à jouer ma vie tous les jours ; je suis dans tout le feu de ma jeunesse, je ne puis garder la mesure d’un diplomate accompli...
Et les deux hommes de s’embrasser... Ils se retrouveront.
Lorsque le 26 octobre, le texte du traité arrive à Paris, les Directeurs témoignent presque de la fureur. Ainsi Bonaparte a osé signer sans leur autorisation, et échanger avec les Autrichiens Venise qui avait été conquise, contre Milan qui leur avait été pris ! Mais que faire ? « Si le Directoire eût refusé sa ratification, expliquera La Révellière, il était perdu dans l’opinion. » Quelques « détails » arrondiront les angles. Une « commission des Arts » va diriger vers Paris le célèbre Lion de Venise, dont on ignore d’ailleurs l’origine, sinon qu’il fut hissé au xn e siècle, place Saint-Marc, en haut d’une colonne venue de Syrie. Par contre, on sait que les célèbres chevaux de cuivre ornaient autrefois la loge impériale de Byzance. Les Croisés s’en étaient emparés lors de la IV e croisade. Les chevaux seraient également érigés à Paris lorsque sera terminé l’Arc de triomphe du Carrousel. Et ceci consola de cela...
Le Gouvernement, faisant contre mauvaise fortune bon ooeur, proclame que le traité remplit « tous ses voeux », et, ce même 26 octobre, pressé de se débarrasser de Bonaparte, lui donne le commandement de l’Armée de l’Angleterre, une armée chargée d’envahir un jour les Iles britanniques !... Puis, afin de ne pas entendre « le sabre » traîner bruyamment sur les parquets du Luxembourg, les Directeurs écrivent à Napoléon pour lui annoncer que le gouvernement « lui ménageait une autre récompense » : celle « de mettre lui-même la dernière main au grand ouvrage » qu’il avait « si fort avancé ». On le nommait, en conséquence, premier plénipotentiaire au congrès de Rastadt qui allait s’ouvrir et devait entériner les décisions datées de Campo-Formio, concernant l’Empire germanique. D’ailleurs, sitôt la nomination signée, le gouvernement le regretta. Assurément ce diable d’homme allait avoir tout le bénéfice de rapporter en France la rive gauche du Rhin ! Mieux valait peut-être le rappeler et récolter, lorsqu’il ne serait plus là, tout ce qu’il avait semé. Mais il était trop tard pour revenir sur la décision prise. Les cinq rois durent se résigner. Ainsi que l’a fort bien dit Albert Sorel : « Les Directeurs le trouvant à la fois embarrassant et indispensable, le voulaient toujours ailleurs que là où il était. » Au moins qu’il ne s’attarde pas à Rastadt ! Qu’il revienne à Paris afin que l’on puisse lui tenir la dragée haute ! Aussi François de Neufchâteau lui écrira-t-il : « Le Directoire est impatient de vous voir et de conférer avec vous sur les intérêts majeurs et multipliés de la patrie... Il désire vous témoigner publiquement son extrême satisfaction et être envers vous le premier interprète de la reconnaissance nationale. »
Celle-ci n’attend pas un ordre officiel pour se manifester. À Paris, le délire monte aux cerveaux. On compare le signataire de Campo-Formio à « l’un des plus grands hommes de l’Antiquité », tandis que Monge déclare que, depuis Vercingétorix, la France n’a possédé pareil héros...
Avant de prendre le chemin de Rastadt, Bonaparte donne en chef d’État ces conseils au peuple cisalpin :
« Ralliez-vous ; faites trêve à vos méfiances, oubliez les raisons que vous croyez avoir de vous désunir, et, tous d’accord, organisez et consolidez votre gouvernement... Pour être dignes de votre destinée, ne faites que des lois sages et modérées. Faites-les exécuter avec énergie... Il en est des Etats comme d’un bâtiment qui navigue et comme d’une armée ; il faut de la froideur, de la modération, de la sagesse et de la raison dans les conceptions des ordres, commandements et lois, de l’énergie et de la vigueur dans leur exécution. »
Si Napoléon n’est pas inquiet sur la manière dont la nouvelle république se
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