Bonaparte
l’appartement du château lui serait réservé. Du côté français, le Directoire a envoyé l’ancien conventionnel Jean-Baptiste, futur comte de Treilhard. Il a juré « haine à la royauté » lors de sa nomination de président des Cinq-Cents – ce qui ne l’empêchera pas, à la fin du Consulat, d’être l’un des plus ardents « supporters » de l’établissement de l’Empire. La délégation française compte encore le farouche Bonnier d’Arco, enfin Merlin, flanqué de son épouse qui, nous dira Bonaparte « est tout ce qu’il y avait de plus bourgeoise ; elle ne me parla que de ses assiettes, et appelle son mari Chouchou coquet. C’est une vraie Madame Angot... »
Les représentants des puissances étrangères se moquent des chapeaux ronds des Français et de leurs souliers fermés avec des cordons en guise de rubans, mais, ainsi que nous le rapporte Lavallette, « il fallait plier devant la République française et les plaisanteries contre ces messieurs expiraient à leur arrivée ».
Le 28, s’installe également à Rastadt le baron d’Edelsheim. Reçu par Bonaparte, il lui annonce que le roi de Suède a désigné comme ambassadeur Axel Fersen, l’ami de Marie-Antoinette.
— C’est impossible, s’exclame Bonaparte ; ce serait manquer au Directoire que de traiter avec lui. Il a servi la France et a été la tête du parti le plus violent contre la Révolution.
Le baron – Axel nous le rapporte dans son Journal intime – essaye de défendre Fersen. N’a-t-il pas quitté le service en 1789 ?
— Vous ne savez pas tout, reprend Bonaparte, il a couché avec la Reine.
Edelsheim se met à rire :
— Je croyais que les époques de l’histoire ancienne étaient oubliées...
Napoléon accepte cependant de recevoir le lendemain l’envoyé de « Sa Majesté Suédoise ». « M. le comte de Fersen, racontera Bonaparte à Talleyrand, est venu me voir environné de toutes les fatuités d’un courtisan de l’OEil de Boeuf. » Après les compliments d’usage « que l’on dit de part et d’autre sans s’écouter », Napoléon n’y va point par quatre chemins :
— Monsieur, la République française ne souffrira pas que des hommes qui lui sont trop connus par leurs liaisons avec l’ancienne cour de France, portés peut-être sur la liste des émigrés, viennent narguer les ministres du premier peuple de la terre.
« Pendant ce discours, rapportera Bonaparte, M. le comte de Fersen changeait successivement de couleur ; il prit son parti en courtisan, il répondit que Sa Majesté prendrait en considération ce que je lui avais dit, et s’en alla. »
On devine comment celui que la reine appelait son cher Rignon reçut ce discours. « Tout son raisonnement, racontera de son côté Axel Fersen au roi suédois, fut débité fort lentement, cependant avec chaleur mais dans le style, le ton et la manière d’un parvenu, sans noblesse et sans dignité, et comme une leçon. »
« Je le reconduisis, précisera encore Bonaparte, comme de raison, avec le cérémonial d’usage. » Ce « cérémonial d’usage » ne fut pas très républicain... Nous savons par Fersen que Bonaparte appela indifféremment l’ancien ami de Marie-Antoinette : Monsieur, Excellence, ou Elle... « L’entretien terminé, ajouta Fersen, le général m’accompagna jusqu’à la porte du vestibule et ses aides de camp jusqu’en haut de l’escalier. »
Le 30 novembre 1797, la Convention est signée et vient confirmer les décisions prises à Udine : Venise est remise à l’empereur François, et Mayence devient française. La ville qui avait déjà été occupée par la France en 1644, en 1688 et en 1792, avait été perdue neuf mois plus tard. Elle était rendue aux Français et, jusqu’en 1814, Mayence sera le chef-lieu du département du Mont-Tonnerre.
Il y a là en germe toutes les causes des guerres napoléoniennes. L’Angleterre n’admettra jamais que la France occupe la rive gauche du Rhin. Quant à l’Autriche, chassée des Pays-Bas, elle ne pourra se résoudre à se trouver également frustrée de la plus grande part de son gâteau italien. Tant que la France ne sera pas muselée dans ses limites naturelles, sans cesse la guerre renaîtra... Et elle renaîtra d’autant plus que l’empire napoléonien repoussera ses frontières « françaises » jusqu’à l’Elbe et la mer Ionienne !
Après un voyage qui, selon Marmont, « fut un triomphe continuel », Bonaparte « habillé en bourgeois », passe
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