Bonaparte
comportera, il n’a pas la même tranquillité lorsqu’il pense à Rome dont la politique va toujours de « guingois »... Aussi adresse-t-il au cardinal Mattei cet avertissement menaçant : « Faites donc entendre à Sa Sainteté que, si elle continue à se laisser mener par le cardinal Busca, et d’autres intrigants, cela finira mal pour vous... » C’est le ton qu’il emploiera plus tard avec Pie VII.
Il a pris goût à distribuer des mises en demeure et des louanges. Ces activités vont bien lui manquer maintenant qu’il n’a plus à jouer au chef d’État. En passant le 19 novembre à Turin, il le dira à Miot de Melito, avec un étonnant sens prophétique :
— Je ne voudrais quitter l’Italie que pour aller jouer en France Un rôle à peu près semblable à celui que je joue ici, et le moment n’est pas encore venu, la poire n’est pas mûre. Mais la conduite de tout ceci ne dépend pas uniquement de moi. Ils ne sont pas d’accord à Paris. Un parti lève la tête en faveur des Bourbons, je ne veux pas contribuer à son triomphe. Je veux bien affaiblir un jour le parti républicain, mais je veux que ce soit à mon profit.
Quant à la paix générale, c’est lui qui la fera :
— Si j’en laissais à un autre le mérite, ce bienfait le placerait plus haut dans l’opinion que toutes mes victoires.
Hélas, hors le calme amiénois, du printemps 1802 au printemps 1803, au cours duquel les ennemis de la France reprendront leur souffle, Napoléon courra après cette paix jusqu’à la fin de l’épopée.
Le 21 novembre, passant par Genève, il se refuse à voir Necker installé au délicieux château de Coppet qui abritait encore les amours – orageuses, mais suivies de belles éclaircies – de Mme de Staël et de Benjamin Constant. L’un de ses compagnons de route – Lavalette – nous explique que son chef – il le dira en passant devant le château – désapprouvait le choix fait par Louis XVI d’appeler Necker au pouvoir. Il ne s’arrête pas non plus à Ferney, nourrissant des « griefs » contre Voltaire. Ainsi, il s’abstient de faire l’un et l’autre pèlerinage. Il préfère, ce même jour, écouter les jeunes filles de Lausanne l’accueillir avec des fleurs et lui réciter ce mauvais compliment de circonstance :
César asservit l’Italie
Et tu lui rends la liberté...
Prépare un chemin de lumière
Où vont s’élancer nos neveux.
Après avoir dîné le 22 à Rolle et couché à Mondon chez le bailli de la ville – le colonel Weiss – Bonaparte et ses compagnons prennent le lendemain matin la route de Berne. À une lieue de Morat, une roue de la voiture se brise – accident fréquent à l’époque – et Bonaparte et son état-major partent bravement à pied. En dépit de l’heure matinale et du froid de frimaire, la route est bordée de toute une foule qui a passé la nuit à la belle étoile pour tâcher d’entrevoir le vainqueur de l’Italie. Arrivé près de l’ossuaire où se trouvent déposés les restes des soldats bourguignons tués à la bataille de Morat, et après s’être fait expliquer comment les Suisses avaient vaincu le duc de Bourgogne, on entend Bonaparte s’exclamer :
— Il fallait que Charles le Téméraire fût un grand fou !
Le quartier général d’Augereau, qui vient de succéder à Hoche au commandement de l’armée du Rhin, se trouve à Offenburg, sur le chemin de Rastadt. Bonaparte s’arrête, se fait annoncer, désirant s’entretenir un moment avec le général. Augereau fait répondre à son ancien chef qu’il ne peut se déranger, étant à sa toilette. Napoléon le fera sans doute un jour maréchal et duc de Castiglione, mais jamais il n’oubliera l’insulte...
Dans la soirée du 26 novembre, Bonaparte, dans un carrosse tiré à huit chevaux et « enveloppé » par trente hussards, arrive à Rastadt, à mi-chemin de Baden-Baden et de Carlsruhe, Il s’installe au château, dans les mêmes appartements que ceux occupés par le maréchal duc de Villars, à la fin du règne de Louis XIV. « J’ai, comme vous voyez, voyagé en casse-cou, annoncera-t-il ce même soir au Directoire, et je n’ai pas été peu étonné de voir que ces ganaches de plénipotentiaires de l’Empereur n’étaient pas encore arrivés, hormis le général Merveldt. »
Le surlendemain, les plénipotentiaires autrichiens atteignent à leur tour Rastadt. Metternich, qui représente l’empereur d’Autriche, fait la grimace : il avait pensé que
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