Byzance
lança-t-elle en basculant la tête en arrière. Ils payaient et ils revenaient la nuit suivante. Tous les deux.
La vieille s’avança en rampant sur les genoux.
— Mais est-ce que je vous connais, messieurs ? Vraiment ! Des blonds. Les hommes du Bulgaroctone. Vous avez de l’or. Je le sais. Le Bulgaroctone vous donnait à chacun une pièce pour chaque nez que vous lui apportiez. Des bouchers.
Elle se rapprocha un peu plus et ses yeux devinrent soudain perçants.
— Je vous dirai la bonne aventure, mes beaux bouchers blonds. Ensuite vous la prendrez ! La pute sera à vous. Elle écarte les jambes et prend tout le monde. Je vous connais, les hommes.
Mar lança une pièce à ses pieds.
Au-dessous de l’Hippodrome vers le sud s’étendait un labyrinthe invraisemblable d’écuries, de bouges, d’auberges, de bordels, éclairés par d’innombrables rats-de-cave dont la fumée plongeait tout le quartier dans une brume puante. Partout où une rue s’ouvrait au milieu des bâtiments entassés les uns sur les autres, on voyait des gens circuler, s’invectiver ; aux fenêtres et sur les balcons, de petites silhouettes s’agitaient.
— La Ville impériale a de nombreux visages, dit Mar. Vous trouverez celui-ci intéressant.
Mar suivit une rue principale qui zigzaguait sans fin. Des hommes en tunique courte, certains portant des sacs de fourrage sur leur dos, d’autres conduisant des voitures à âne, passaient sans s’arrêter à chaque carrefour et s’engageaient dans les rues poussiéreuses latérales en direction des écuries de l’Hippodrome. Une charrette portant deux énormes félins rayés en cage passa devant eux, suivie par des dizaines d’enfants pieds nus, sales, qui couraient en chantant. Près d’un carrefour, une femme se tenait debout sur les mains ; sa tunique était retombée et le bas de son corps se trouvait complètement exposé. Un homme lança une pièce sur les pavés à côté de sa tête, et elle écarta les jambes. Il y avait des diseuses de bonne aventure partout, assises sur des tapis ou à l’abri sous des cabanes peinturlurées. Un devin, vieillard aux cheveux blancs graisseux, leur fit signe de l’autre côté de la rue ; une chiromancienne, jeune avec de beaux cheveux noirs et une longue cicatrice qui divisait son menton, les appela de l’autre côté.
— Hétaïrarque ! cria-t-elle.
Mar lui adressa un signe de tête mais ne ralentit pas. Un homme sans nez les dépassa en courant, un petit chien sous le bras.
Mar tourna à gauche. Un nain faisait chanter trois jolies petites filles tristes en tunique blanche propre. La foule nombreuse se joignait au refrain et des pièces pleuvaient sur la chaussée sale aux pieds des petites chanteuses émouvantes. Après avoir tourné sur la droite, la rue s’achevait sur un groupe de maisons de bois coincées contre un taudis à la façade croulante, qui s’ornait d’une treille.
— Toi le grand, toi le grand…
C’était une voix de femme aux accents rauques qui se voulaient séducteurs ; elle venait du porche bas d’un des bâtiments de bois. Mar fit la sourde oreille à l’invitation désincarnée et se glissa dans un passage le long de l’immeuble de briques. Ils s’arrêtèrent enfin devant une porte de bois à l’arrière d’un grand immeuble de trois étages, récemment replâtré. Mar frappa, un judas glissa. La porte s’ouvrit. Ils entrèrent dans un entrepôt à l’odeur de sauce de poisson et de farine. Une autre porte, et ils se trouvèrent dans un flot de lumière.
— Hétaïrarque !
Un homme de petite taille, chauve, en tunique de soie d’un bleu étincelant, prit les deux avant-bras de Mar. Ses dents tordues brillèrent. Il avait une barbe sombre, bien taillée.
— Bienvenue, bienvenue.
Mar se tourna vers Haraldr.
— C’est Anatellon le conducteur de char. Il a gagné sept courses à l’Hippodrome. L’empereur Constantin a fait faire de lui un buste de bronze.
— Bien entendu, l’empereur a également fait faire une statue de bronze grandeur nature de mon meilleur cheval, lança Anatellon.
Il écarta les bras et émit un étrange gloussement aigu. Il se tourna vers Haraldr.
— Vous n’avez pas besoin qu’on vous présente, Har-eld, massacreur de Sarrasins et de Seldjouks, et maintenant manglavite de Rome.
Anatellon étendit les bras. Ses avant-bras étaient aussi gros que les pattes d’un cerf et si durs qu’ils semblaient sculptés dans le marbre. Après
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