Byzance
Le petit noiraud poussa un cri inhumain, mais Hakon posa son énorme patte sur sa gorge. De l’autre main, il souleva une hache. Il fit tourner le Petchenègue de dos vers la berge et en deux coups rapides comme l’éclair il ouvrit l’échine de l’homme le long de la colonne vertébrale. Avant que le sang n’ait le temps de couler, il posa la hache et ouvrit la cage thoracique en écartant les côtes tranchées vers l’arrière. Il plongea les deux mains dans la cavité et en sortit les poumons roses, fumants. Tenant le Petchenègue par les cheveux, il étala ses poumons comme des ailes sur ses épaules qui frémissaient. La bouche du petit bonhomme cracha de l’écume rose. Hakon le laissa s’affaisser sur ses genoux, puis déchira son pagne. Il prit une lance et l’enfonça doucement dans l’anus du Petchenègue. Après plusieurs secousses la pointe sanglante de l’arme apparut entre les poumons étalés.
Il saisit alors la hampe de la lance à deux mains et brandit son œuvre d’art comme un oriflamme.
— L’aigle de sang ! hurla-t-il. Nous vous étranglerons tous avec les cons de vos femmes !
Sur la berge, les Petchenègues avaient préparé une autre victime. Les arbres claquèrent de nouveau, et les membres gigotèrent. L’échange rituel dura jusqu’à ce que les Varègues brandissent leur cinquième aigle de sang, violacé, vers le ciel et que les Petchenègues n’aient plus d’arbres libres.
Un silence presque palpable tomba. L’un des aigles frétillait comme un poisson au bout de sa pique. Enfin un groupe de Petchenègues en robes de soie s’avança au bord de l’eau. Les chefs parés de couleurs vives tenaient de gros bols ronds de couleur rosâtre. Ils les soulevèrent en psalmodiant à l’intention des bateaux de Rus, puis burent à grandes lampées.
— Ils boivent à notre santé ? demanda Haraldr à mi-voix.
Gleb cracha dans l’eau.
— Non. Ils nous montrent leurs nouvelles coupes : les crânes de nos hommes.
Hakon posa son regard piqueté de feu sur le Petchenègue qui restait. Il poussa le petit homme aux yeux exorbités devant le premier des aigles de sang. Son poignard vola et trancha les testicules du Petchenègue empalé.
— Nous allons l’engraisser avec des huîtres de ventre ! ricana-t-il.
D’une main, il ouvrit la bouche du Petchenègue survivant et de l’autre il enfourna le bâillon sanglant jusqu’au fond de la gorge. Il suivit la rangée des aigles et fit sa récolte pour nourrir son invité, qui se tordait, hoquetait, bavait de façon obscène. Enfin les yeux du malheureux se fermèrent, il s’écroula sur le pont, le visage noir, asphyxié.
* *
*
— Pas un mot !
Gleb leva la main pour imposer le silence. Les bateaux avaient repris la descente du fleuve, et l’équipage somnolait dans la chaleur de l’après-midi.
— Écoutez !
Étourdi par la torpeur, Haraldr crut qu’ils arrivaient déjà à la mer. Le bruit à peine audible, pareil au ressac assourdi de vagues dans le lointain, lui rappela la Norvège.
— Ne dors pas ! aboya Gleb.
Haraldr sursauta, comme presque tout l’équipage.
— C’est le nom de la première cataracte du fleuve. Il y en a sept, expliqua Gleb. « Ne-dors-pas ! » Ici commence notre jeu de hasard avec le Dniepr.
Il regarda le soleil ardent, mais déjà bas sur l’horizon.
— Inutile de commencer maintenant, les derniers bateaux ne passeraient pas la cataracte avant la nuit. Mais si nous partons demain à l’aube, nous aurons franchi les quatre premières cataractes avant le coucher du soleil.
Il se détourna avant d’ajouter, comme pour lui-même :
— À ce moment-là, la file sera beaucoup plus courte.
* *
*
Le fleuve était lisse comme de la glace, couleur de corbeau. Haraldr montait la garde. De temps à autre un cri s’élevait du bateau de Hakon et perçait la nuit. Apparemment le sang de la journée avait mis l’eau à la bouche du fauve.
— Haraldr.
Le jeune homme sursauta et se retourna. C’était le jarl Rognvald.
— Haraldr, dit-il sans quitter le fleuve des yeux, tu sais que je n’ai jamais perdu ma foi dans les anciens dieux.
Haraldr hocha la tête.
— Cela ne signifie pas que je ne crois pas à Kristr. Je pense que tous les dieux existent. La seule différence entre eux tient aux dons qu’ils attribuent aux hommes qu’ils protègent. Ce Kristr, je te l’accorde, est probablement le plus grand des dieux. C’est un bâtisseur. En Norvège, il
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