Byzance
dévorer un serpent. Son visage devint écarlate. Il lança les dés sur l’aigle avec une telle violence que les cubes d’ivoire et les morceaux de céramique volèrent en éclats.
— Un monastère ! hurla-t-il en levant la tête vers les caissons dorés du plafond. Ce n’est pas ce que vous m’avez promis ! Ce n’est pas du tout ce que vous m’avez promis, Seigneur ! Vous rappelez-vous notre conversation ce jour-là, Seigneur ? Vous êtes apparu à mes côtés, vous avez pris ma main dans votre main.
Il poussa de nouveau un cri de dément.
— Vous m’avez dit que je pourrais les faire payer pour tout ce qu’ils m’ont fait. C’est vous qui en avez eu l’idée, et à présent vous m’avez abandonné à eux ! Vous allez les laisser m’emmener dans un monastère !
Il se tut, mais son cou se raidit et sa tête se releva brusquement comme si on l’avait tiré par les oreilles.
— Comment ? Comment ? dit-il doucement. Très bien, ajouta-t-il au bout d’un instant, un peu pour lui-même, un peu pour son interlocuteur invisible. Mais n’oubliez pas que je ne suis pas un homme patient.
* *
*
— Nous aurons bientôt une chaleur torride, dit l’impératrice Zoé en traçant du bout des doigts le contour de la nymphe gravée sur l’aiguière d’argent que la condensation avait couverte de buée. Cette chaleur ne vous donne-t-elle pas la nostalgie de Thulé, hétaïrarque Haraldr ?
— Je pense souvent à mon pays. Mais la chaleur n’y est pour rien.
Haraldr avait redouté cet entretien, mais il aurait pourtant sollicité une audience si elle n’avait pas demandé elle-même à le voir – il fallait régler la question. Une bouffée de vent chaud et sec s’engouffra sous les arcades du balcon et Zoé se pencha en arrière sur les coussins de son divan.
— Oui, dit-elle en agitant les doigts comme pour caresser l’air parfumé. J’ai souvent pensé que vous étiez lié. Non pas seulement par les entraves qu’un cœur pose sur un autre, mais par l’empreinte qu’un pays impose à son peuple. Ou peut-être la marque que laisse un pays sur l’homme qui doit le gouverner.
Haraldr se raidit et se redressa ; il s’était senti gêné quand elle lui avait demandé de s’asseoir sur le divan en face d’elle, et il regrettait maintenant de ne pas être resté debout. Elle ne savait rien de précis – on parlait encore de ce prince venu avec la flotte de Rus mais ce n’était plus qu’une vague rumeur, presque oubliée.
— Maria m’a dit que vous étiez issu d’une noble famille de Thulé, continua Zoé de sa voix lente et grave. Avez-vous l’ambition de régner sur votre pays un jour ?
Haraldr décida qu’elle ne lui posait pas un piège ; en fait, elle lui montrait simplement le piège dans lequel ils étaient pris tous les deux.
— Oui. J’envisage parfois de régner un jour en Norvège, dans mon pays. Ce n’est qu’un rêve. Mais dans un instant de folie, ne me suis-je pas imaginé un jour souverain de Rome ? Et dans cette ivresse, n’ai-je pas rêvé que je prenais Rome dans mes bras ?
Il se tut et retint son souffle. Les yeux de Zoé papillonnèrent puis se fermèrent.
— Je comprends votre vision. J’ai eu la même un jour. C’était un rêve. D’une beauté exquise, comme sont souvent les rêves. Mon mari m’a éveillée de ce rêve.
Le cœur de Haraldr battit plus fort.
— Oui, je crois que j’ai été éveillé de la même manière, et je me suis alors aperçu que j’avais simplement rêvé.
Le doigt de Zoé traça de nouveau le contour de la nymphe d’argent.
— La beauté des rêves, c’est que la vie ne nous en tient pas rigueur.
— Et la vie ne peut jamais détruire entièrement la beauté d’un rêve, répondit Haraldr soulagé.
Dans sa gratitude, il éprouva un résidu de la passion qui les avait unis ce jour-là.
— La beauté, non. La substance, oui. La vie détruit souvent la substance des rêves, mais elle nous en offre aussi de nouveaux. De nouvelles beautés.
Zoé se redressa sur son coude gaîné de soie, ses yeux bleus brillaient comme des diamants.
— Je vous ai déjà remercié au nom de Rome et de l’impératrice née dans la pourpre pour les vies de mon peuple et la sécurité de notre empire. Mais vous me connaissez aussi en tant que femme, hétaïrarque, ajouta-t-elle avec un soupçon d’ironie salace, et je ne vous ai pas remercié en tant que femme d’avoir sauvé la vie de mon
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