Byzance
entendu, il faudra que j’enseigne à la classe moyenne ces nouveaux statuts.
— Et vous aimeriez que la Grande Hétaïrie vous assiste pour cet enseignement ?
Le visage de Joannès se tordit en un sourire affreux.
— Vous êtes devenu vraiment romain, hétaïrarque. Dites-moi votre prix.
— Peut-être le trouverez-vous plus élevé que vous ne pouvez payer, orphanotrophe, répondit Haraldr d’une voix suffisamment dure pour que le visage de Joannès s’assombrisse. Tout d’abord, je veux que vous compreniez que cet enseignement consistera à faire appliquer l’ordre civil, et non à punir les petits marchands et artisans qui soutiendront Michel. Ensuite, il faudra que vous vous engagiez publiquement à assurer la sécurité, le bonheur et le bien-être de l’impératrice Zoé née dans la pourpre. Enfin, dites-vous bien que je protégerai de ma propre vie la vie de l’empereur Michel, sinon son maintien en fonctions. Je tiens à ce qu’il continue à être entouré d’honneurs et à jouer un rôle dans la future administration de Rome. Il a beaucoup à donner à son peuple.
Les yeux de Joannès parurent reculer dans les profondeurs sombres de son crâne.
— Je crois que vous venez de refuser mon offre, hétaïrarque, dit-il en un grondement menaçant. J’espère que vous reviendrez sur cette décision. Je détesterais voir une vie qui compte beaucoup pour Rome sacrifiée pour deux êtres qui ont simplement dévasté ce que d’autres ont construit.
Joannès fit signe à l’eunuque qui attendait près de la loggia de raccompagner Haraldr.
— Au revoir, hétaïrarque Haraldr, dit-il. Souvenez-vous de ceci en me quittant : mes décisions à l’encontre de l’empereur – un empereur que j’ai créé moi-même et que j’ai le pouvoir de remodeler dans le moule que je choisirai – sont irrévocables. Mais ce n’est pas parce que nous ne nous sommes pas entendus sur un prix que tout est brisé entre vous et moi. Je vous offrirai avec plaisir l’occasion de renégocier. Peut-être montrerai-je une certaine souplesse concernant le premier et le dernier point que vous avez mentionnés. Comme je vous l’ai dit, vous êtes à mes yeux un homme qui compte beaucoup pour la gloire de Rome.
Haraldr s’inclina.
— Je réfléchirai longuement à cette question de prix. Mais souvenez-vous, orphanotrophe. À la différence de notre empereur, je ne suis pas votre création.
* *
*
— Noir. C’était comme si le voile était une plaque sombre sur mes yeux, comme si le noir de mes robes déteignait sur le monde entier, s’écria Zoé avec un rire amer. J’en étais venue à penser que le jour où j’enlèverais tout ce noir pour entrer dans mon bain, ma peau aurait pris elle aussi cette maudite couleur. Comme une Libyenne. Je crois que s’il me fallait porter du noir un jour de plus, j’en aurais la chair de poule.
— Il n’y a rien de sombre dans la vision que j’ai sous les yeux, ma Mère.
L’empereur Michel n’avait nul besoin de se forcer pour la flatter. « Remarquable, se dit-il. Comme une plante qui se dessèche et meurt, puis retourne à la vie, plus lumineuse et ravissante au printemps suivant. » Il regarda sa peau sans défaut – peut-être y avait-il quelques fines rides de plus autour des yeux, mais les iris d’un bleu printanier conservaient leur éclat d’améthyste plus enchanteur que jamais – et son regard glissa sur la silhouette voluptueuse sous le scaramangium pourpre et or tout simple. La feuille sèche était tombée. La fleur s’était épanouie de nouveau et le parfum qui en émanait était un parfum de désir.
Zoé tendit ses bras splendides et fit signe à Michel de s’asseoir sur le divan à côté d’elle.
— Les caresses de votre Mère vous ont-elles manqué ? demanda-t-elle en lui caressant les cheveux.
Michel éclata en sanglots et pleura pendant peut-être un quart d’heure. Zoé le prit dans ses bras et attendit que le paroxysme se calme. Elle lui embrassa la tempe et dit :
— Je suis certaine que votre Mère ne vous a pas manqué à ce point, mon enfant. Qu’est-ce que cet homme vous a fait ?
Entre deux profonds sanglots, Michel parla à Zoé du nouveau protégé de Joannès.
— Mon oncle Constantin – je veux dire le nobilissime – assure que nous devons provoquer Joannès tout de suite… Je suis vraiment saisi de peur… ma Mère.
— Quel est le plan du nobilissime ? demanda Zoé d’une voix
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