Byzance
menace pour elle et discuter des craintes ou des soupçons qu’elle pourrait avoir. Si elle m’assure qu’elle n’a aucune réserve concernant l’empereur – et je la crois en bien meilleure position que vous ou moi pour deviner ses intentions – , je me rendrai auprès de l’empereur et j’organiserai mon départ. Je n’ai pas besoin de vous dire que mon cœur ne peut vous quitter, mais je ne peux plus passer sous silence le fait que je dois partir, et que je partirai le cœur déchiré dans ma poitrine s’il ne peut en être autrement.
Maria ne répondit pas, ses yeux bleus toujours fixés sur la ville.
— Vous êtes certain que le petit déjeuner ne vous intéresse pas ? demanda Alexios, patriarche de la Vraie Foi œcuménique, orthodoxe et catholique, en montrant les portes d’argent de la salle à manger privée.
— Non, mon père, répondit l’empereur Michel. J’ai davantage besoin de nourriture spirituelle. Pouvons-nous nous rendre ensemble à Sainte-Sophie ?
— Certainement, Majesté. À la différence des nourritures physiques, qui lorsqu’on les consomme en excès encombrent la chair de corpulence et de corruption, chaque repas spirituel allège notre fardeau et purifie nos âmes.
Alexios escorta Michel d’antichambre en antichambre puis à travers les bureaux du patriarcat, jusqu’au couloir recouvert de tapis qui conduisait à la galerie du premier étage de Sainte-Sophie. Ils descendirent ensuite l’escalier qui débouchait du côté sud de l’immense basilique, puis s’avancèrent dans la nef. Les deux hommes les plus puissants du monde formaient un spectacle étrange, côte à côte, revêtus tous les deux de soie constellée d’or des chevilles au menton : le patriarche en blanc, avec des croix brodées, l’empereur en pourpre parsemée d’aigles. À la lumière dorée de Sainte-Sophie, ils ressemblaient davantage aux divinités de mosaïques scintillantes flottant au-dessus d’eux qu’à des personnages humains.
— Notre-Seigneur a transformé Son Verbe en lumière du monde, dit Alexios en prenant le bras de l’empereur, mais ici, dans notre église mère, j’ai souvent l’impression que la lumière du monde est transmuée de nouveau en paroles. Votre Majesté trouve-t-elle cela étrange ?
Le visage de Michel tressaillit curieusement, d’abord les lèvres puis les sourcils.
— Cela me fascine, mon père. Faites-vous allusion aux chants sacrés qui retentissent en ce moment dans notre église ?
— Certainement, Majesté. Mais aussi à la parole que Notre-Seigneur prononce sans l’intermédiaire de voix humaines. Quand je suis ici, j’ai souvent des conversations privées et intimes avec le Pantocrator.
Michel fit un petit bond en avant, comme saisi par une impulsion irrésistible.
— Mon père, est-il… est-il possible que le Pantocrator me parle de cette manière ?
— Mais très certainement. Vous êtes son vice-régent sur terre. Je serais profondément troublé si Notre-Seigneur ne vous communiquait pas ses désirs.
— Il m’a communiqué ses désirs, mon père. Il m’a parlé pour la première fois sur l’ambon, quand vous m’avez couronné césar. Maintenant, nous parlons fréquemment. Même dans ma propre chambre.
Alexios serra le bras de Michel en un geste d’encouragement.
— Et quels sont les désirs du Pantocrator, Majesté ?
Les sourcils de Michel tressaillirent de nouveau.
— Il m’a demandé de me… multiplier.
Les paupières d’Alexios battirent rapidement.
— Ah bon. Et vous a-t-il demandé d’épouser notre impératrice pour lui faire porter fruit ?
Michel releva légèrement la tête, comme pour baigner son visage dans la lumière du dôme.
— Non. Ce sein adorable n’a pas porté fruit pendant toutes ces années, et il est peu probable qu’il le fasse à présent.
— Votre supposition à cet égard est correcte, Majesté. Notre impératrice a conservé le charme délicieux de sa jeunesse, mais elle a passé l’âge de la fertilité. Vous devez cependant comprendre, Majesté, que tout en étant le fils adoptif de l’impératrice, vous êtes son consort aux yeux de son peuple. Vous risqueriez de compromettre cette relation si vous preniez une épouse.
— Mais si mon épouse était également née dans la pourpre ?
Les yeux d’Alexios parurent sur le point de jaillir de leurs orbites.
— Je crains que l’augusta Théodora n’ait pas plus de chances de porter fruit que
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