Byzance

Qu’est-ce que l’empereur lui avait demandé ? S’était-il endormi ? Il releva de nouveau la tête et l’inquiétude lui rendit tous ses esprits pendant un instant. Comment pouvait-il être ivre à ce point ? Il n’avait pas bu assez de vin pour être déjà hanté par les hérons de l’oubli. Puis il sentit la somnolence gagner ses bras et ses jambes… Son cœur terrifié redonna aussitôt la vie à ses membres. Il se leva d’un bond. Ses bras qui refusaient d’obéir balayèrent sa coupe et son assiette. Le vin forma une tache rouge de plus en plus large sur la nappe blanc et or. Il sentit ses pieds s’enliser dans la boue, mais il avança en chancelant vers Michel et tendit ses bras, devenus pareils à d’énormes bûches.
    — Vous… m’avez… empoisonné… haleta-t-il en suffoquant.
    Puis la pièce tourbillonna et il s’écroula la tête la première sur la table avec un vacarme d’enfer.
    Michel et Constantin se levèrent, les yeux rivés sur le buste de Haraldr en train de se tordre, pareils à deux chasseurs examinant une bête massacrée. Une des longues mèches d’or de Haraldr était tombée dans la sauce de Michel. L’empereur, du bout des doigts, ôta la mèche trempée de l’assiette d’or et se tourna vers son oncle, pas du tout ivre soudain.
    — Quand cet Odin a décidé d’offrir à notre ami cette fin fort opportune, il a également décidé de gâcher mon rôti de porc.
    * *
*
    —  Tu ne trouves pas que ça sent mauvais ?
    Halldor, debout sur le quai du quartier de Saint-Mammas, avait les yeux rivés sur la Grande Ville. Le soleil couchant touchait encore les hautes tours des remparts.
    — La puanteur m’étouffe, répliqua Ulfr en regardant les trois galères légères amarrées au ponton.
    Des Varègues s’affairaient sur les bateaux, fixaient des agrès, terminaient les tolets des avirons, vérifiaient le calfatage et chargeaient des tonneaux de provisions.
    — Même s’il était avec Maria, il serait venu ici pour surveiller les préparatifs. Aucun homme du Nord ne prend la mer à la légère.
    — Toute cette affaire me déplaît, répondit Halldor. Et d’abord la façon dont ces Petchenègues attendaient pour s’installer à la Numéra avant même que nos matelas soient froids. Comme si l’empereur avait hâte de nous savoir hors du Palais.
    — Où est allé Haraldr la nuit dernière ? As-tu demandé à Maria ?
    — J’ai envoyé un homme à la maison de Haraldr. Erling. Je lui ai dit de ne pas revenir avant d’avoir trouvé Maria. Il n’est pas revenu… Il faut décider d’un plan.
    — Malheureusement, nous ne savons ni pour quoi, ni contre quoi forger ce plan.
    — Envisageons les deux possibilités, dit Halldor. Si Haraldr a des ennuis, il faut que nous le retrouvions, que nous le sauvions et que nous nous préparions à partir immédiatement. L’autre possibilité, c’est que Haraldr soit victime d’une trahison qui l’a placé au-delà de notre aide.
    Halldor regarda Ulfr et surprit son ami : il avait des larmes dans les yeux.
    — Dans ce cas, continua-t-il, j’ai l’intention d’aller le rejoindre au Walhalla. Mais avant que les Walkyries m’enveloppent de leurs membres glacés, je réduirai les palais de Rome à un tas de cendres.
    — Si on en vient là, je me joindrai à toi. Et eux aussi, dit Ulfr en montrant les Varègues. Mais s’il a encore besoin de notre aide, nous devons le trouver. Regarde.
    Grégori, monté sur un cheval beaucoup trop grand pour lui, arrivait au galop sur le quai.
    — Camarades, cria-t-il, à bout de souffle, j’ai des nouvelles. Haraldr s’est rendu aux appartements de l’empereur hier soir et aucun de mes indicateurs ne l’en a vu ressortir.
    Halldor et Ulfr échangèrent des regards rageurs.
    — Rien d’autre ?
    — Si, lança Grégori. L’empereur a consulté ses astrologues toute la journée. Je me suis lié avec le chambellan qui s’occupe d’un de ces savants, et il a surpris une conversation du bonhomme avec ses assistants au sujet de ses calculs astronomiques. L’empereur leur a demandé si les étoiles étaient propices pour un homme prêt à prendre un énorme risque.
    — Quel jour ont-ils calculé, Grégori ? demanda Ulfr.
    — Demain.
    — Je te l’ai dit, toute cette ville sent mauvais, dit Halldor. Je propose que nous allions demander à cet empereur où nous pourrons trouver Haraldr. Ensuite nous quitterons Rome avant qu’il ne prenne son grand