Byzance
tamponna ses lèvres élégantes avec sa serviette brodée.
— Du tumulte de cette journée, il s’est dégagé une rumeur intéressante. On raconte que vous êtes en fait le roi de ce pays de Norvège.
Haraldr laissa tomber sa fourchette dans son assiette.
— Mon père, j’ai juré loyauté à l’augusta, comme j’ai juré loyauté à tous ceux qui ont porté le diadème impérial, en tout cas tous ceux avérés dignes de cet office.
Alexios leva la main.
— Mon fils, je ne vous accuse pas de trahison. Vous auriez pu prendre Rome ce matin si telle avait été votre ambition. Oui, nous nous inquiétons toujours beaucoup d’une invasion venue du Nord, et puis il y a toutes ces prophéties… Mais je suis sûr que vous êtes las de les entendre, et quant à moi, je ne m’en soucie point. La seule chose qui me trouble, c’est que des chrétiens aux cheveux blonds puissent adopter le credo latin et se laisser entraîner dans la perdition éternelle par le pontife de l’Ancienne Rome.
Alexios rumina une autre bouchée de poisson avant de continuer.
— J’aimerais vous proposer ceci. L’authenticité de votre lignée va sans doute être connue de tous, elle s’est déjà largement répandue. Je m’engage à faire en sorte que ces révélations ne provoquent aucune conséquence désagréable. Vous devez me promettre en échange qu’à votre retour sur le trône de votre Norvège, vous permettrez à mes prêtres d’apporter l’Unique Vraie Foi à votre peuple.
Haraldr essaya de se dire que le destin lui offrait un nouveau présent : pour le prix du libre passage de quelques prêtres, il possédait désormais un allié extrêmement puissant qui avait intérêt à le voir revenir rapidement en Norvège. Mais n’était-ce pas un autre masque ironique de son destin ? Rentrerait-il en Norvège sans Maria ?
— Mon père, se força-t-il à répondre, mon peuple ne peut que tirer profit de cette évangélisation.
— Excellent, répondit le patriarche en repoussant son assiette qu’un serviteur emporta aussitôt. Nous nous sommes armés pour la lutte éternelle. Étudions maintenant un conflit d’une nature plus immédiate et plus temporelle.
L’appréhension noua la gorge de Haraldr ; cet homme, comme le destin, n’était pas facile en affaires.
— Notre position est en ce moment très faible, reprit le patriarche. Nos factions sont unies seulement par l’espoir que les deux sœurs nées dans la pourpre régneront conjointement. Malheureusement, Zoé ne s’est pas présentée à son peuple pour confirmer qu’elle accepte sa sœur. Je crains qu’elle ne se soit enfuie avec Michel pour tenter de rallier le peuple à sa cause.
— J’ai la même crainte, mon père.
— Je sais maintenant où le tyran s’est enfui, tout en ignorant si Zoé se trouve avec lui ou si elle l’a seulement aidé à fuir. L’empereur et son oncle ont demandé aux moines du saint monastère studite de les accepter parmi eux. Je n’ai pas besoin de vous dire que la piété soudaine de notre empereur durera seulement le temps qu’il trouve une nouvelle machination pour retenir Zoé dans son camp.
Haraldr comprit où le patriarche voulait en venir et se rappela son étrange pacte avec Michel sur l’ambon de Sainte-Sophie. Il se força à défier le regard pénétrant d’Alexios.
— Je vois. S’il faut tuer le tyran, il vaut mieux que cet acte soit accompli par un homme se prévalant du soutien du peuple sans représenter une faction particulière. Un Varègue.
Alexios n’essaya pas de calmer Haraldr par un sourire.
— Je désire que vous fassiez subir un châtiment. Mais non un châtiment de mort. Nous sommes une nation chrétienne. Il sera suffisant de crever les yeux de Michel pour rendre sa… vision du monde inoffensive.
— Oui, dit Haraldr, j’aimerais lui réserver le sort qu’il comptait m’infliger. Mais avez-vous envisagé que j’ai peut-être une raison de le tuer ?
— La question de votre… fiancée ? Je crois que ses autres soucis l’ont trop préoccupé pour qu’il lui ait fait du mal.
— Et si c’était le cas ?
— Comme je vous l’ai dit, il vaudrait mieux que notre nation chrétienne ne soit pas souillée par le sang du vice-régent du Pantocrator sur la terre. Et, bien entendu, la mort du jeune homme risquerait de retourner malencontreusement Zoé contre notre cause, bien que l’impératrice ait déjà fait preuve d’un remarquable pouvoir
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