Byzance
ouvriers honnêtes, s’arrêtèrent en voyant Haraldr et s’écartèrent respectueusement de son cheval, comme s’ils attendaient la sanction de son autorité pour poursuivre ce qu’ils avaient en tête. Un jeune homme portant la robe de soie des fonctionnaires sortit du groupe et s’avança vers les Varègues. Haraldr le reconnut : Michel Psellos, jeune étudiant en civilisation ancienne et secrétaire impérial qui n’avait pas participé aux crimes de Michel.
— Messire, lança Psellos, le peuple les a chassés du saint monastère studite. Ils ont l’intention de leur arracher les membres.
Psellos, à la différence d’Hellènes présomptueux comme le sénateur Scylitzès, était un homme de haute culture, mais la panique lui avait fait manifestement oublier son habituelle éloquence attique.
Les Varègues mirent pied à terre.
— Où est l’empereur, Psellos ? demanda Haraldr.
Les ouvriers s’écartèrent et Psellos précéda les Varègues au milieu d’eux. Des masses d’hommes, de femmes et d’enfants continuaient de se répandre dans le parc, et la foule était devenue si énorme que le périmètre extérieur était masqué par la poussière ocre étouffante.
En arrivant à l’épicentre du tourbillon, Haraldr se figea. Il reconnut Constantin, bien que le nobilissime eût échangé sa robe pourpre pour la toile ordinaire des moines. Constantin lança à Haraldr un regard de défi, et son visage creusé par l’angoisse ressemblait tellement à celui de son frère Joannès que Haraldr songea pendant un instant qu’une monstrueuse transmutation s’était produite.
De l’empereur, autocrate et basileus des Romains, il ne restait rien. Le jeune homme qui se tenait à côté de Constantin était sans barbe et avait les cheveux bruns rasés comme ceux d’un novice. Sa tête ballottait, ses épaules tremblaient et il gémissait comme un chien blessé. Tout son corps semblait diminué, comme si la frayeur avait rongé ses organes internes.
— Ils ont fait vœu de devenir moines, dit Psellos. Ne pouvez-vous supplier la foule de les épargner et de leur permettre de retourner dans leur sanctuaire ?
Haraldr regarda le jeune érudit et comprit qu’en dépit de toute sa culture classique, Psellos avait bien des choses à apprendre des épaves hébétées du Stoudion.
— Combien de temps Michel et Constantin attendront-ils pour jeter ces robes monastiques et se revêtir de nouveau de pourpre quand le danger présent sera passé ?
Psellos se ressaisit et acquiesça.
— Sans doute. Mais quand je vois le pouvoir de notre glorieux empire ainsi dégradé, je suis saisi de compassion. Et ce genre de spectacle ne peut enflammer parmi le peuple qu’un appétit de rébellion. Quels sont vos ordres ?
Haraldr montra à Psellos l’ordre signé par Théodora qui lui commandait d’aveugler Michel et Constantin.
— Je crois que cette sentence calmera leur folie, dit Psellos. Je crois aussi que vous avez intérêt à leur montrer cet ordre.
Haraldr acquiesça, ce Psellos était beaucoup plus sage qu’il ne l’avait cru. Il fit circuler le document de couleur pourpre parmi les ouvriers, qui exprimèrent aussitôt leur accord.
— Oui, c’est juste. Théodora a raison.
Michel releva la tête.
— Je porterai ma croix, dit-il.
Haraldr plongea son regard dans les yeux qu’il était venu détruire.
— Le Pantocrator a souffert lui aussi ces avanies, reprit Michel. Il veut que je porte ma croix comme il a porté la sienne. Comment ? Comment ?
Les paroles de Michel étaient à peine perceptibles au-dessus des clameurs de la foule. « Il est complètement fou, se dit Haraldr. Se souviendra-t-il seulement de Maria ? »
— Majesté, dit Haraldr d’une voix égale, craignant qu’un ton trop dur ne déclenche une démence qui bloquerait toute réponse. Où est Maria ?
Michel regarda dans le vide où il s’était réfugié.
— Avec mes Marie, dit-il en penchant la tête. Elles ne l’aiment pas. Même la Madeleine s’est repentie. Non, j’ai décidé que Blanche Marie serait ma Mère.
Haraldr en fut glacé et perdit tout espoir. La sentence prononcée par Théodora s’était répandue dans la foule comme du feu liquide. Les cercles extérieurs, plus échauffés, n’appréciaient pas la clémence de la nouvelle impératrice.
— À bas Michel ! À bas Michel ! scandait le peuple. Mort au tyran ! Écorchez-le ! Couronnez-lui le cul.
Michel agrippa Haraldr de
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