Byzance
qu’à un fil ténu.
On enveloppa Maria dans des couvertures et Eilif, un Varègue qui avait appris certains arts de guérison pratiqués par les Romains et les Sarrasins, étala un onguent gras sur les brûlures les plus graves et tâta doucement l’abdomen de Maria. Elle remua et gémit légèrement. Eilif se tourna vers Haraldr, qui tenait toujours la main de Maria, puis vers Halldor, et secoua la tête tristement. Il chuchota à Halldor :
— Elle est également brisée à l’intérieur. Elle partira bientôt. Je ne peux rien faire pour elle.
Halldor fit signe à tout le monde de s’écarter.
Haraldr continua sa veille désespérée, tentant de faire revivre Maria par la force de sa volonté. Son âme était glacée jusqu’au plus profond de lui-même et pourtant, quelque part, une lumière scintillait encore. Le bout des doigts de Maria trembla légèrement. Puis, lentement, la vie revint ; sa main n’était plus inerte dans celle de Haraldr mais reconnaissait le contact. Elle serra les doigts, aussi faiblement qu’un enfant. Sa tête se pencha et ses yeux bougèrent sous ses paupières brûlées ; puis ce fut le miracle, la chose qu’il avait voulue de toutes ses forces, pour laquelle il avait prié : un scintillement pareil à des saphirs cachés au milieu des cendres. Il lui serra doucement la main et se pencha au-dessus d’elle.
— Ma chérie, ma vie.
— Ne me… ne me regarde pas, chuchota-t-elle d’une voix rauque. Je suis… un tas de cendres.
Haraldr dut faire effort pour se maîtriser. Sa vie entière était là, dans ces quelques instants de sursis : il pouvait la vivre dans la dignité ou la gaspiller en larmes futiles.
— Jamais tu n’as été plus belle à mes yeux que lorsque tu jouais la vieille femme au Néorion, murmura-t-il en luttant de toutes ses forces contre ses larmes. Jusqu’à maintenant. Maintenant je vois ton âme sans le moindre artifice, et elle est plus éblouissante que tout ce que j’ai jamais pu voir.
Le corps de Maria frissonna et sa respiration devint plus courte, plus inégale. Ses yeux se refermèrent mais elle lutta pour revenir à elle.
— Mon amour, murmura-t-elle, il faut que tu… saches ceci. Nous nous sommes demandé un jour… si la mort pourrait nous dire… si nos âmes étaient sincères… ou ne portaient que des masques.
De nouveau, elle dut lutter pour pouvoir respirer.
— Je sais… maintenant… que mon âme ne m’a jamais menti… Ni ne t’a menti…
Sa gorge gronda et sa tête roula d’un côté à l’autre, mais ses yeux redevinrent lucides.
Des larmes glacées brûlaient le visage à vif de Haraldr.
— Je crois en la vérité de notre âme plus qu’en toute autre chose. Je crois en vous et en moi. Votre âme sera toujours dans mon âme. Vous toucherez qui je toucherai pendant le reste de mes jours…
Les portes de sa résolution se brisèrent et il s’effondra.
— Oh ! mon amour, je donnerais n’importe quoi pour que Dieu échange nos destins ! Je ne voulais pas vous tuer.
— Ne dites pas cela, chuchota-t-elle en redressant la tête au prix d’un énorme effort de volonté. Vous avez été mon miracle : ma résurrection. Écoutez-moi. J’ai vu ce qui suivra la fin du monde dans les flammes. Ce n’est pas les ténèbres dans lesquelles je vivais avant que vous veniez dans moi. La mort n’est pas sombre. Elle est la lumière… Elle est la seule lumière. Vous m’avez promis, mon amour… Maintenant c’est à moi de promettre. Je reviendrai à vous et je vous reprendrai dans mes bras. Même après le vol du dernier dragon noir. Je vous promets de vous ramener à la lumière. Seule la lumière existe… et l’amour…
Après cet immense effort, la tête de Maria retomba. Haraldr sentit ses forces refluer de sa main, mais il refusa de la laisser partir dans le noir. Il passa l’heure longue de l’aurore dans les souvenirs d’une vie : le parfum de ses cheveux bruns, le contact de sa peau blanche, les échos de son rire de cristal.
À l’instant où le soleil ramena une vie rose au-dessus du Bosphore souillé par la mort, la tête de Maria se retourna vers lui. Elle n’ouvrit pas les yeux mais ses lèvres remuèrent plusieurs fois. Puis elle articula les mots :
— Le roi… Au-delà du ruisseau…
Sa tête se pencha en arrière. Un instant plus tard, elle murmura : « Amour…» et un sourire fugitif se peignit sur ses traits.
Le soleil se leva sur les côtes vertes de
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