Byzance
années de paix avec l’Empire romain. Il laisse passer librement les chrétiens qui désirent se rendre à Jérusalem auprès des Lieux saints. Et pour couronner le tout, il a autorisé la reconstruction de l’église du Saint-Sépulcre. Ne conviendrait-il pas d’honorer ce représentant sarrasin des vertus chrétiennes par un geste d’hommage à son estimable conduite ?
L’empereur acquiesça.
— Que proposez-vous, logothète ? demanda Joannès.
— Le meilleur moyen d’exprimer notre respect et notre confiance envers le calife, tout en montrant bien au contribuable romain ordinaire les avantages de la paix apportée à l’ensemble du monde civilisé par l’hégémonie de Byzance, me paraît être l’organisation d’un pèlerinage au Saint-Sépulcre du Christ Pantocrator, à Jérusalem, par un groupe d’éminents dignitaires romains.
— Et quels dignitaires propose le logothète pour cet honneur ? demanda Joannès.
— Il est bien entendu inconcevable que notre Père l’empereur fasse lui-même ce long voyage alors que ses enfants ont un besoin si pressant de sa présence. Mais notre Mère l’impératrice, dont la piété a toujours été exemplaire, devrait peut-être représenter Rome dans un pèlerinage d’une telle importance.
Joannès parcourut le conseil du regard. Les dynatoï soutiendraient son initiative, parce que tout renforcement de l’accord entre Sarrasins et chrétiens augmenterait presque immédiatement la valeur de leurs propriétés dans les thèmes de l’Est, qui souffraient des raids arabes depuis longtemps. Et leur lèche-bottes, le grand domestique Dalasséna, serait obligé de suivre leurs directives, malgré son incapacité à assurer la sécurité de l’impératrice, ne serait-ce que de Césarée Mazacha à Adana, au cœur de l’Asie Mineure romaine !
Bien entendu, l’empereur accéderait à cette requête.
L’idée du pèlerinage plairait à son ardente piété, mais il y verrait surtout une bonne occasion d’éloigner cette intrigante catin qui l’accablait avec les exigences forcenées de ses affections lascives. Cette femme constituait une menace, et Joannès attendait avec impatience le jour où elle ne serait plus nécessaire.
Quand l’empereur eut accordé son approbation, Joannès songea au petit problème qui l’avait tracassé un peu plus tôt. Le conseil le fatiguait, mais l’immensité de ses responsabilités exigeait de lui une attention sans relâche à tous les détails.
— Votre Impériale Majesté, dit-il, nous connaissons vos affections angéliques pour notre Mère l’impératrice, et pour protéger sa précieuse personne je suggère que sa garde soit augmentée par un contingent de ces Tauro-Scythes qui ont prouvé leur férocité et leur compétence contre les ennemis de la chrétienté. Ils n’ont rien à faire depuis leur victoire sur les méprisables Sarrasins mécréants des côtes d’Afrique, et je crains que leurs services ne soient perdus pour l’Empire romain si nous ne leur offrons pas un emploi digne de leur valeur comme champions du Christ.
L’empereur acquiesça sur-le-champ, et Joannès regarda le grand domestique Dalasséna dans les yeux, à l’affût d’un signe. Comme il s’y attendait, il ne vit rien.
* *
*
— La pourpre.
Même la voix de Halldor était tendue par la fatigue, la douleur et la rage. Le bûcher funèbre d’Asbjorn Ingvarson, qui avait brûlé dans la cour tout l’après-midi, continuait d’envoyer des volutes d’un noir de corbeau vers le ciel violet. Les autorités avaient barricadé les portes et interdit aux Varègues d’enterrer le jeune Suédois en mer. Haraldr avait dû s’appuyer sur toute son autorité pour empêcher les hommes de franchir le barrage et d’attaquer les murs de la ville.
— La pourpre ? demanda Ulfr d’une voix sans timbre.
Il releva brusquement la tête. Sa chaise racla le dallage de pierre de la petite pièce. Halldor se mit à parler comme un homme en état de transe.
— Quand les deux premiers empereurs sont morts, la femme a remis la couronne au successeur. Aucun d’eux ne portait la pourpre à son entrée en scène. La pourpre implique l’appartenance à une lignée royale.
Haraldr essaya de se concentrer sur les paroles de Halldor malgré sa fureur presque incontrôlable. Il ne connaissait pas très bien Asbjorn Ingvarson mais ce jeune païen était un de ses hommes liges les plus dévoués, et sa mort réclamait la vengeance
Weitere Kostenlose Bücher